Le parcours artistique de Guy Rhéaume
Les Convix - Tante Marie chante et raconte Batman
(Élysée / Chance BTM-101 ; décembre 1966)
En octobre 2010, j'ai eu le privilège de m'entretenir quelques heures avec le chanteur/musicien/ingénieur/producteur Guy Rhéaume chez lui, à son studio de Boucherville. Si ce nom ne vous est pas déjà familier, nous tâcherons de vous éclairer à propos de ses nombreuses réalisations entre 1965 et 1972 dans une série de trois articles entièrement dédiée à ses contributions devant et derrière la console. Voilà bien une rencontre que j'appréhendais depuis quelques années!
Au milieu des années 60, Rhéaume entreprit une prolifique carrière musicale. Assistant d'abord pour les enregistrements du producteur André Perry, ce multi-instrumentiste fonda rapidement son premier groupe, Les Convix, avant de poursuivre l'aventure jusqu'à la fin des années 60 au sein du groupe psychédélique montréalais Le Cardan. Deux albums en solo et de nombreuses réalisations lui seraient aussi crédités au tournant de la décennie 70, mais ce n'était encore que les débuts d'un impressionnant parcours professionnel qui l'amènerait à travailler avec Robert Charlebois, Le Grand Cirque Ordinaire, Anne Renée, Ginette Reno, Johanne Blouin et tant d'autres depuis 40 ans. Retour sur les débuts d'une prolifique carrière...

Guy Rhéaume: J'ai commencé en faisant du country, on avait Roger Miron et Marcel Martel comme clients, d'ailleurs tout ceux qui étaient chez Rusticana.
Sébastien Desrosiers: Vous étiez déjà ingénieur à l'époque?
G.R. J'étais l'assistant de André Perry, assis à côté de lui un an et demi avant de commencer sérieusement. Un samedi matin, on avait une session prévue pour un album de Monique Gaube et il m'a dit: «Vas-y, ça me tente pas, j'ai mal à la tête». Je suis entré seul au studio, les musicens sont arrivés et j'ai du me débrouiller avec ça.
S.D. C'est jeune pour prendre le studio en charge...
G.R. J'ai commencé à 16 ans.
S.D. C'est plutôt exceptionnel!
G.R. Aujourd'hui, je dirais que oui. J'ai eu moi-même des élèves assistants qui sont venus ici. Ils avaient déjà 25 ans et sortaient de l'École du Showbusiness ou de l'Institut Trebas. Dans mon temps, y'avait pas de tout ça: on apprenait sur le tas.
S.D. Revenons sur les débuts des Convix, votre premier groupe.
G.R. Au départ, vers 1965, nous étions trois: Jean-François (Johnny) Bourtumieux, Gerry Labelle et moi-même. On jouait pour des parties. Le problème, c'est qu'on avait pas de basse. J'ai demandé à Johnny s'il connaissait un gars. Il étudiait à la Polytechnique à Laval et ramena un étudiant qu'il avait connu là-bas, Gilbert Soucy. Johnny proposa qu'il devienne second guitariste afin que Gerry prenne la basse. À quatre, nous avons fondé un nouveau groupe. À ce moment, Gilbert fit entrer Denis (Soucy) dans le groupe.
Rapidement, on trouve une gig pour aller jouer dans un cabane à sucre de Mont-Laurier. On avait pas de nom, mais j'en trainais un depuis longtemps. On adopte le nom des Convix. On l'écrit sur le bass drum. En revenant de la gig, Johnny nous informe que sa famille déménagera bientôt aux États-Unis; nous perdions à nouveau un membre. Denis invita Michel à se joindre au groupe et malgré ces quelques changements, nous
sommes demeurés Les Convix. Pour plusieurs années à venir d'ailleurs...
Les Convix, Hôtel du Lac des Écorces, 1965 (Collection personnelle G. Rhéaume).
G.R. Après la cabane à sucre, je suis aller cogné à la porte de l'Hotel du Lac des Écorces pour un emploi. Finalement, on est devenu le house band de l'hôtel et on a joué là un an et demi. Ensuite vint l'Hôtel de Val Barrette. Apparemment, on avait vidé cet hôtel depuis qu'on jouait au Lac des Écorces. On jouait les Ventures et plein d'autres titres instrumentaux.
S.D. Quelques compositions originales?
G.R. Pas encore. On jouait plutôt Ebb Tide, Harlem Nocturn, Yellow Bird, des cha-chas et des rumbas. On commençait à avoir un following ! Les gars avaient de grosses familles donc ça faisait beaucoup de frères, de soeurs et d'amis qui venaient nous voir jouer. L'hôtel était tout le temps plein. L'hôtellier de Val Barrette nous a finalement approché et voulait nous payer plus cher pour aller jouer à son établissement. C'est comme ça qu'on a pu jouer un an à Val Barrette.
S.D. Ça forge les musiciens!
S.D. J'imagine que c'est comme ça que les Convix en viennent à développer un son, ce qu'on retrouve d'ailleurs sur l'album de Tante Marie chante et raconte Batman. Comment avez-vous été impliqués avec l'étiquette Élysée?
G.R. Ça c'est vraiment nos tout-débuts sur disque. C'est à cause d'André Perry. Il est venu me voir en me disant qu'il cherchait un band pas cher pour faire un album de Batman. Je lui ai dit «J'vas le faire, moi!». Y'a répondu « Ben j'vais vous enregistrer ». Aussi simple que ça. Visiblement, ça devait être à l'origine pour l'étiquette Chance, mais ça ne s'est pas concrétisé. Élysée, c'était une étiquette western.
S.D. Y'avait bien aussi quelques groupes garage comme vous (Les Asteks, Les Loups). Où avez vous enregistré l'album?
G.R. Aux studios d'andré Perry, à Brossard. Ça a pris une couple de jours. Le premier, soir on a fait les basic tracks, le lendemain les voice over et ça a pris une troisième journée pour le mix d'André. J'ai fait les choeurs aussi là-dessus, mais j'ai rien écrit.
Les Convix, salle de l'École Plytechnique de Mont-Laurier, 1965 (Collection personnelle G. Rhéaume).


Les Convix, Outremont (Montréal), École Lajoie, 1965 (Collection personnelle G. Rhéaume).
S.D. On peut entendre le groupe sur quatre chansons. Avez-vous néanmoins composé la musique pour accompagner des paroles rédigées à l'avance?
G.R. Non. On les avait appris en anglais, en premier, avant de les adapter. J'étais allé chez Clairette (Michaud; Tante Marie); son sous-sol était équipé avec une enregistreuse alors on a pu répéter, elle et moi. En rentrant en studio, on a tapé ça live. Je pense qu'on était les trois aux choeurs (avec Diane Michaud).
S.D. Est-ce que les Convix ont déjà interpété sur scène ces chansons de Batman?
G.R. Non et il n'y a eu aucune promotion.
S.D. C'est un pur projet d'exploitation (d'une mode passagère) et si je ne m'abuse, l'album fut publié le 31 décembre 1966. Est-ce que le groupe à persévéré longtemps avant de devenir Le Cardan?
G.R. Oh oui, un bon bout. Un moment donné, tout le groupe est revenu à Montréal pour étudier après avoir joué à Mont Laurier tout l'été. J'habitais alors avec André Perry, mais on avait plus d'endroit pour pratiquer. J'ai téléphoné à un ami d'école, Richard Émond, pour lui demander s'il aimerait jouer dans un band. «Mets-en, en plus j'ai une place dans ma cave pour pratiquer», qu'il dit. Dans le fond, Richard est surtout entré dans le groupe parce qu'il avait un local de pratique! *rires*
G.R. Je l'ai présenté aux trois autres Convix et il l'ont aimé. Il jouait déjà de la guitare et avait son propre ampli alors il s'est mis à la rythmique. Il connaissait aussi un autre de mes amis d'école, Reynald Beaupré. Il a proposé qu'il devienne notre gérant et je dois dire qu'il a été très efficace. On s'est alors mis à jouer beaucoup à Québec... [ À suivre dans le second volet de cette série, Le Cardan - 1967-1970 ]


Maintenant que les présentations sont faites, concentrons-nous sur l'unique album offrant quelques titres des Convix, Tante Marie chante et raconte Batman. À la manière d'un simple long jeu de contes, celui-ci se démarque d'autres «strictement récités» en proposant quatre adaptations musicales par les Convix en plus de faire appel au groupe pour ponctuer de quelques élans instrumentaux le récit en deux parties de Tante Marie. Les albums de contes pour enfants avaient la cote à l'époque et ceux qui connaissent déjà l'autre aventure de Batman publiée sur étiquette Blanche-Neige seront en terrain connu. Ce dernier n'offrait qu'une mince histoire jouée malhabilement sur les deux faces par des comédiens anonymes de dernier ordre. Ici, le personnage de Tante Marie (Clairette Michaud) fait de son mieux afin d'imager une nouvelle aventure sans queue ni tête opposant le Professeur Milo aux valeureux justiciers, Batman et Robin. Je vous laisse le soin d'analyser ce récit dans la section «Commentaires». Profitez-en pour m'expliquer comment fonctionne selon vous le liquide à projections hypnotiques du méchant...
La pochette offre un impact graphique indéniable et montre la plupart du temps un autocollant au logo des Disques Élysée recouvrant celui de l'étiquette Chance (ma copie ne fait pas exception). À ma connaissance, cette dernière étiquette ne publia qu'une poignée de 45 tours et ne put jamais financer la production d'un album. Le disque fut donc racheté par Élysée. Chance avait néanmoins déjà imaginé un matricule thématique (BTM-101), aussi repris par Élysée qui ne prit pas la peine de corriger les détails publiés au revers de la pochette (Wrigler?) ou d'y altérer le logo de Chance.

Crash! Pow!! Zokk!!! Les Convix explosent sur quatre chansons, toutes signées Lucien Brien, un parolier québécois fort productif durant les années 60 (près de 300 titres portent sa signature!!!). Les chansons originales furent adaptées de l'album américain Children's Treasury of Batman Musical Stories (Tifton; 1966), pour lequel le compositeur Tony Eira avait imaginé divers thèmes notamment pour les truands (Le Pingouin, Le Joker). Le projet de Tante Marie n'opta que pour revisiter le Thème de Batman , Look out for the Batman (En garde! Voici Batman ), The wonderful boy wonder (Le merveilleux compagnon ) et Here comes the Batmobile (Voici la Batmobile ). Totalisant moins de 27 minutes sur disque, ces quelques chansons, tout comme la mode de Batman, ne faisaient que passer... non sans fracas!
Si les traductions de Brien ne s'éloignent que très peu des paroles d'origine, l'énergie et l'urgence qu'insufflent les Convix aux morceaux détonnent habilement tout en demeurant plus fidèles à l'esprit «à go-go» de la populaire série télévisée (1966-1968). Des interprétations originales, le groupe ne retient que les chants, plus lyriques si j'ose dire; le tout contraste joliment avec les rythmes bruts propulsés par les musiciens. Le Thème de Batman (curieusement absent de la version américaine de l'album) démarre en trombe sous un tonerre de drumfills. Contrairement à la version des Hou-Lops, celle-ci est en majeure partie instrumentale; elle permet toutefois à l'écho des guitares de se fracasser à une roucoulante ligne de basse. Décidément, sur scène, ce groupe devait être plutôt intense! En garde! Voici Batman poursuit sur la même lancée, passant en mode mineur afin d'accentuer la menace que représente le mystérieux vengeur masqué. Un pont plus aérien révèle un timide solo de guitare pas piqué des vers. Une version alternative de la piste instrumentale fut aussi insérée en introduction à la seconde partie du récit Batman devient lâche.
Les Hou-Lops obtinrent aussi beaucoup de succès avec leur propre version du Thème de Batman en 1966.
La face B offre un rare hommage à Robin, fidèle comparse prépubère de Batman dans la série de 1966. Le merveilleux compagnon s'impose comme l'adaptation la plus ludique de l'album, plus près des ritournelles auxquelles on s'attendait de la part de Tante Marie. Le groupe, dans un registre près du hillbilly, demeure toutefois solide dans son interprétation. La plus glorieuse des versions que propose le groupe se terre à la toute fin de l'album. Voici la Batmobile: écoutez ce bruit! Y'a pas à dire: ce dernier titre se démarque aisément par sa vrombissante utilisation d'un riff fuzzé (un vrai de vrai fuzz en 1966: étonnant!) qui fait instantannément mouche et s'installe entre vos deux oreilles pour y rester. Rhéaume roule à fond sur les toms pour amplifier le passage de la mythique Lincoln Futura 1965 modifiée. Si la prose n'offre que bien peu de substance (Aucune automobile ne passe devant car on sait que Batman et Robin sont dedans ), le refrain, lui, déménage! Le Professeur Milo n'avait qu'à bien se tenir...
Je tiens à remercier chaleureusement Guy Rhéaume pour son accueil et sa générosité. Son témoignage se pousuivra sous peu dans le second volet de cette série qui cette fois, s'attardera à la seconde incarnation des Convix sous le vocable résolument psychédélique Le Cardan. Un merci tout spécial aux amis Simon M. Leclerc (Psyquébélique) et Satan Bélanger pour leurs précieuses contributions.
J'en profite aussi pour lancer un appel aux autres membres des Convix / Le Cardan. Votre témoignage nous importe! Je vous invite à nous écrire afin que nous publions votre version de l'histoire du groupe. Laissez un commentaire et... bonne écoute!
Téléchargez l'album / Download the complete album:
Les Convix - Tante Marie chante et raconte Batman (Élysée/Chance BTM-101; 1966)
