jeudi, octobre 29, 2009

Raôul Duguay, 1969.

Panorama sur la musique Underground Québécoise -
Quelques Conclusions


Je ne suis pas particulièrement friand des listes, des Top 10. Depuis 1999, avouez que nous avons été inondés d'essais similaires dans la plupart des magazines musicaux, chacun tentant de définir voire réécrire l'évolution des courants artistiques du dernier siècle. Qu'on ne critique pas alors les récentes et effervescentes récupérations des genres par de jeunes talents, on nous a gavé à la nostalgie depuis une décennie! On les craint comme on les dévore ces listes; on apréhende ses conclusions en se préparant à les discréditer. Qui est au numéro 1? Ils ont osé omettre tel disque, impardonnable! Ils ont inclu un titre méconnu en espérant m'impressionner, navrant! On a tous eu ces moments. Comme si un mode d'expression aussi sensible devait se quantifier entre nos deux oreilles... Après tout, avec ces listes à la manière de ce premier panorama de l'underground, on sait d'avance qu'elles ne seront jamais définitives... enfin, tant qu'on n'y aura préalablement mis son propre grain de sel. ; )

Quelques mesures d'une performance d'Halloween 1969 (Manifeste de l'Infonie ).

En guise de conclusion notre exercice, j'ai longuement considéré d'analyser le premier disque de L'infonie, Volume 3 (aka André Perry présente... ; Polydor 542.507; 1969). Qui ne serait pas d'accord avec cet ajout? Bon, je vous l'accorde, le groupe a eu dès le départ sa franche part médiatique. Dès leurs premières performances à Terre des Homme en 1967, ils avaient déjà tout l'attirail pour vous faire freaker et vous enchanter. Pour un groupe d'une trentetroizaine d'artistes multidisciplinaires, leur démarche orchestrale était résolument contemporaine, leurs costumes saillants, leurs cheveux longs et leur ivresse poétique des plus contagieuses.



Raôul Duguay (chant, trompette) résuma efficacement leurs aspirations:
créer un monde parallèle à celui de la culture commerciale (...) plonger dans l'universalité des formes d'expression, les fusionner et les revitaliser dans un happening de folie créatrice. Et comme toutt est dans toutt, on sent que c'est sous leur impulsion que l'underground put émerger, rejoindre et être absorbé par la culture populaire. Freak-out cacophonique, exotica débridée, poésie phonétique, groove électronique (J'ai perdu 15 cents dans le nez froid d'un ange bronzé ), touchants et cabotins passages orchestraux (sublime reprise de She's Leaving Home des Beatles), bossa nova «corrigée» (Desafinado ) ainsi qu'un improbable et incroyable tube (Viens danser le Ok Là, aussi un simple chez Polydor ): pour le fun, pour emmerder les straights et pour aller au bouttt de touttt.



Malgré ces preuves éloquentes de leur talent sur disque, c'est sur scène que l'expérience totale proposée par le groupe trouve sa manifestation la plus complète. Lorsque j'ai eu la chance d'assister à la performance de Walter Boudreault, Raôul Duguay, Guy Thouin (aussi un ex-Quatuor de Jazz Libre) et compagnie en février dernier, j'ai vite compris ce qui catalysait les performances de l'Infonie: la synergie qui habitait autant les performeurs que leur public, le plus souvent impliqué activement dans la performance comme telle, était au boutt du boutt. Sans vouloir mystifier l'affaire, je n'avais jamais ressentie une telle vibration. C'était crissement palpable! Devant le charisme des Infonistes, on a inévitablement envie de participer à la folie collective qu'ils plebiscitent, tout souriant. La prose phonétique et jovialiste de Duguay aide à transcender la poésie, même chez les esprits les plus rangés. On a envie de se faire aller le gorgotton comme lui. Entre rigueur et improvisations, une forte impression de bonheur découle de ce happening sonore imprévisible. Pourtant sceptique, votre auteur avait même perçu une dimension thérapeutique suite à leur performance de Volume 33. Hypocondriaques face à la nuée pandémique, prenez-note! Confortablement niché, L'Infonie rallie et secoue encore aujourd'hui les puristes des genres, de l'amateur de musique concrète au rockeur moribond.





Afin de parfaire vos connaissances Infôniqaques, je vous invite à lire l'excellente bio que propose le site Québec Info Musique ou à retracer le manifeste du groupe, aujourd'hui retitré Le boutt de toutt (toujours disponible). Notez aussi que le label Mucho Gusto a pris grands soin de rééditer Volume 3 & Volume 333 avec quelques titres inédits. Indispensables.

Un album essentiel... mais on ne pouvait s'arrêter à ce seul titre pour conclure notre exercice. Ainsi, au gré de nos écoutes répétées, plusieurs artistes furent inévitablement écartés de ce premier panorama. Cerner 10 albums sur une quarantaine d'années de productions underground, vous en conviendrez, n'était déjà pas chose facile; nous avons du prioriser certains titres. Il n'est pas exclu qu'ils soient ultérieurement analysés sur ce blog. Parmi les albums les plus pertinents, retenons:


Ouba, Reels Psychadéliques I & II (1968): Ces jams de la série Freak-Out Total initiée par Tony Roman méritaient d'être considérés. Audiblement le résultat de séances tardives et enfumées, ces rares productions étaient inévitablement vouées à être sans lendemain. Roman n'allouerait que très peu de promotion pour ces séances avant-gardistes, mais force est d'admettre qu'elles sont intrinsèques à la personnalité du jeune réalisateur, tiraillé entre la pop commerciale et la quête d'un son moderne pour un Québec en ébulition. Toutefois, après une écoute difficile et parfois lassante, l'auditeur averti concluera comme nous que leur impact demeure négligeable. Un collectionneur complétiste pourrait devenir un mélomane légèrement déçu... Mais, même si j'en saisi toute l'ironie, qu'est-ce que je les recherche ceux-là! Ajoutez à cela les plus fignolés Maledictus Sound / Expérience 9 et vous gagnez le gros lot! C'est d'même avec Tony...

Boule de Son - Just'en passant (1975): Production minimale, diffusion quasi inexistante pour ce charmant groupe de folk rural aux légers accents rock. Le genre de trésor qui ne quitterait pas le rang où il fut enregistré, produit et emballé dans une pochette générique. Seul leur batteur referait surface dans le non-moins méconnu groupe progressif Opus 5. Une belle rareté (l'album vous coutera 300$ et plus) définitivement dans les cordes de votre auteur, mais rien de vraiment fracassant. Faites-vous une idée de l'album ici.

Aut'Chose - Prends une chance avec moé; Une nuit comme une autre; Le cauchemard américain (1974-1976): Un flot déferlant de riff hardrock et la personnalité scénique hyperbolée de Lucien Francoeur imagent déjà à eux seuls l'essence du rock Québécois. Offenbach avait déjà sa niche que Aut'Chose arrivait avec plus de couilles, plus de poils, un claviériste débridé et une prose morrisonesque électrifiée. Leur retentissement fut immédiat, mais leur aura s'est progressivement obscurci après 1977, obnubilé par les extravagences discutables de Francoeur et par et une réédition de leur catalogue complet qui se fait toujours, et toujours attendre... Pas underground, mais trop peu souvent cités!



Les Sinners - Vox Populi (1968): Je considérais cet album comme underground dans la courte et florissante carrière d'un groupe prêt à se métamorphoser partiellement en Révolution Française. L'arrivée d'Arthur Cossette coincidait avec le groupe qui affichait une approche parmi les plus cutting-edge à l'époque, proche des Who sur Sell Out. Étrangement, l'album semble être perçu comme trop moderne, déglingué et touffu pour la jeunesse; elle court toujours les happenings du groupe, mais les ventes de Vox Populi déçoivent. Une version anglophone fut développée pour en améliorer la diffusion au sud du pays, mais suite au départ de François Guy, elle accumulerait la poussière jusqu'en... 1992. Malgré la participation en chansons et celle de deux membres au film de l'ONF Kid Sentiment en 1967, aucun simple ne réussit à se démarquer. Une véritable perte, cette production moderne de Pierre Nolès avait tant à offrir. Je vous l'accorde, le groupe était archi-connu, mais cet album-là est passé dans le beurre il y a 41 ans...




Les Champignons - Première Capsule (1972): Un groupe prog-psychédélique qui ne vendrait son album autoproduit qu'à ses rares specacles... voilà bien un projet hippie qui s'annonçait underground dès le départ. On a bien droit à quelques moments lysergiques, mais dans le genre, je leur ai toujours préféré le groupe Sloche et comme on trempe déjà dans les moeurs progressives du Québec des années 70, ce n'est pas tout à fait underground. Rare, certainement, mais loin d'être essentiel.

Moonstone - Moonstone (1972): Un projet anglophone sur étiquette Kot'ai (Infonie), incluant Tony Roman à la console sur quelques titres. Leur acid-folk nordique se démarque de celui de la scène alors florissante au Québec, plus près de celui de ses compères US (Alzo, Jan & Lorraine) ou UK (Comus, Trader Horne). Ils jouaient loussement -peut-être trop pour certains- et semblaient posséder ce je-ne-sais-quoi dans leurs chants qui aurait dû leur permettre de percer, du moins sur la scène montréalaise. Serait-ce le simple écart linguistique ou la pauvre diffusion qui nous aurait fait jusqu'à ce jour négliger cet album?




Trop Féross - Résürrection (1986): Le groupe Satan Jokers (France) crachait déjà son métal hurlant en français depuis le début des années 80, mais ces Québécois se démarquaient par la présence vampirique de sa fascinante et blonde chanteuse. Pour l'analyse complète, je cèderai la place aux fins connaisseurs de métal qui voudront bien se prêter au jeu. J'ignore s'il existe une réédition, mais entre temps, faites-vous une idée de l'album en le téléchargeant sur le blog Cosmic Hearse. Heavy, très... et bon!

Brégent - Poussière des regrets (1972): Je suis persuadé qu'il devait y figurer, mais comme je ne l'ai jamais entendu, j'ai dû passer... Quelqu'un en a un exemplaire à me vendre ou à partager (mp3)? Écrivez-nous.



Franck Dervieux - Dimension M (1972): Tout comme pour The Medium (1968), cet album mérite d'être cité pour avoir initié les mouvances progressives du rock Québécois. N'étant pas un spécialiste du genre, j'ai parfois du mal à bien cerner les influences que Dervieux absorbe pour réaliser son chant du cygne. Toutefois, je ne peux que m'incliner devant ces ténébreux titres instrumentaux menés d'une main de maître par Dervieux (claviers) et le groupe Contraction. Avant-gardistes et hautement influents, ils montraient alors à tant de groupes naissants la voie à suivre. La mort précipitée de Dervieux quelques semaines après le lancement de l'album en scellerait justement le destin, mais la vague qu'il avait généré était déjà déferlante. Underground, oui et non.

Péloquin Sauvageau: - Laissez-nous vous embrasser là où vous avez mal (1972): Je vous l'ai écrit, je n'aime pas les Top 10, trop souvent réducteurs et prévisibles. Pour m'en démarquer, je vous avouerai avoir intentionnellement écarté quelques titres trop évidents. Péloquin-Sauvageau étaient du lot. Je suis vendu à cet album, Monsieur l'Indien me secoue toujours autant et demeure un classique hors-norme. Que voulez-vous, nous avions votre bonheur à coeur et cherchions à vous proposer quelques surprises...

Normand Gélinas -
Le chat de l'Arc-en-ciel (1971): Une révélation lysergique inspire à Gélinas un conte psychédélique à la structure des plus slaques. Un projet marginal comme on les aime. Denis Pantis prit sa jeune star en pitié et lui occtroya un pressage limité de 500 copies le temps qu'il le sorte de sa tête. Rapidement enregistré puis oublié, ce conte trouva néanmoins écho chez son auteur qui, encore aujourd'hui, rédige des histoires pour les tout-petits.


Comment? Pas de précurseurs du new wave, du funk, du punk, du métal ou du hip-hop?!! Dites-vous que c'est ici que vous intervenez: proposez-nous un album que vous jugez underground et qui mérite d'être publié en annexe à ce panorama. Je sais que vous en avez déjà un en tête alors n'hésitez pas à justifier votre choix en quelques phrases. Vous l'aurez probalement remarqué, nous n'avons pu survoler une période de la scène Québécoise parmi ses plus fastes, 1972-1981. Vous saurez où creuser...

J'en profite pour remercier chaudement mon ami Mathieu Arsenault du blog Doktorak Go! qui a su combler les décennies plus récentes. Ses textes témoignaient d'une singulière, intense et passionnante analyse musicale. Son blog propose une farandole de miscellanées hyper-recherchées et ô-combien d'actualité: à lire!