Le quintet signerait bientôt un contrat avec Champagne Records et publierait ainsi un premier simple avec le chanteur Pierre Latour sur étiquette Idéal, une division des disques Plaza. Le 45 tours regroupait une composition de Latour (Petit Michel ) et une adaptation de la chanson de Clarence «Frogman» Henry (I don't know why I love you but I do) rebaptisée Je ne sais pas en face B. Cette production n'est pas des plus réussie, mais propose néanmoins un dynamique couplage de saxophone et de trompette. Petit Michel est un slow primitif avec passage parlé obligé. Le pressage original semble avoir scellé le sort de cette face A; en effet, le résultat est plus qu'ondulatoire (warped comme on dit). On est loin de l'effervescence pour laquelle le groupe était reconnu...
Le groupe enregistrerait ensuite à la hâte son unique album pour Plaza. Leur frat rock rudimentaire ne devrait répondre qu'à une seule question: est-ce que ça déménage? La réponse est oui, bien entendu, et à un maigrelet 22m30s, les disques Plaza tout comme les Echo-Men démontraient parallèlement qu'ils n'avaient pas de temps à perdre... Il entreprendrait alors une tournée intensive des cabarets de la région montréalaise et mériterait bientôt un passage à la cultissime émission Jeunesse d'Aujourd'hui.
Le frat rock meuble alors les ambiances des maltshops de la Rive Sud, des salles de danses de Saint-Hyancinthe et des cabarets de la rue Crescent, sans se limiter aux campus étudiants. Le style se situe à la croisée du surf, du rock n' roll, du twist et du r&b pur et dur, le plus souvent livré à coups de saxophones tonitruants et de détours obligatoires (on ne compte plus les adaptations de Wipe Out ou de Raunchy). Il y a aussi un élément impudique voire lascif qui émane de la présence régulière de saxophones; ainsi jumelés à un groupe généralement plus tight, ils nous réservent normalement de vibrants solos qui ajoutent à l'ambiance débridée d'une perfomance live. Le style n'invite-t'il essentiellement pas au party après tout? Sur 33 tours, des groupes Québécois comme The Corvets (Dance Party; Rusticana RMM628), The Cruisers (Pour danser; Carnaval C459), The Rockets (Going to a dance party; ABC A3) ou The Midgets (Rhythm and motion; Plaza PL3306) offrent aussi de solides performances et bénéficient généralement de meilleures productions pour la même époque. Recommandés... même si les Midgets sont un peu straights, avouons-le.
The Echo-Men font comme leur compères et optent majoritairement pour des reprises de groupes américains et anglais, évoluant aux travers du registre des Champs (El Rancho Rock ), The Shadows (l'effreinée I feel so good ), The Surfaris (Wipe Out ), Duane Eddy (l'indispensable Rebel Rouser ) ou Bill Doggett (Honky Tonk ). Du lot, seuls deux titres furent composés par le groupe-même: un slow rock suave, Reina, et la chanson donnant son titre à l'album, Elephant Rage. Ces deux titres originaux furent d'ailleurs compilés en 2003 sur l'exaustive série bootleg Original Early Canadian Rockers de l'étiquette des Pays-Bas Collectors Records. Elephant Rage ouvre avec fracas sur les barrissements du saxophone, mimant celui du pachyderme prêt à vous défier! On en prendrait plus de ces folies guturales, mais le rythme nerveux et un bon lead vous font rapidement oublier ce détail et déjà, vous caressez l'envie de danser... Twist her, originellement du Bill Black Combo, offre à nouveau un bon solo et une présence plus affirmée des saxophones. C'est aussi le seul titre à bénéficier d'un accompagnement au piano. L'ambiance se réchauffe d'un cran grâce à leur version de Wipe Out. Notez le tabouret du batteur qui craque à chaque mesure qui déferle sur les toms. Si I feel so good crinque le volume, l'effet à tôt fait d'être complété par l'énergique Hot Pastrami & Mashed Potatoes qui, avec l'originale Reina, se distinguent en étant les seuls titres avec pistes vocales. On aurait bien pris un troisième assiettée de ce plat maison. Plus loin, Honky Tonk laisse entrevoir un guitariste par moments entremêlé dans ses solos et plus j'y réfléchissais, plus je me rappelais ce qui m'avait charmé en découvrant le rock garage il y a plusieurs années. Le frat rock n'avait pas encore épuisé ses ressources qu'en donnant naissance à la vague garage de 1964-1968, il lui insufflerait bien quelques notions de base:
1) Ça ne doit pas être trop propre, ni poli.
2) Sacrifie la seconde prise au profit de l'énergie brute de la l'unique première.
3) Tout le talent du monde ne remplacera pas l'honêteté que tu démontrera sur scène.
4) Si tes parents détestent ce que tu fais, continue, t'es sur la bonne voie...
Par delà The Echo Men...
Dubé développerait parallèlement de multiples talents en tant que sessionman pour les studios StéréoSounds et RCA en plus de jouer et chanter sur les enregistrements d'autres artistes représentés par Champagne. Il cumula aussi les postes au sein de ces entreprises, passant notamment de graphiste de pochette à celui d'ingénieur de son (une passion dont il ne se lasserait jamais). Une rencontre avec l'animateur de CJMS, chanteur et futur arrangeur Gilles Brown en 1965 l'amènera à quitter son groupe pour en rejoindre un autre: Les Gitans. Ce quatuor était composé du frère de Gilles, Robert Brown à la batterie, de Dubé à la basse et de deux autres musiciens que je tarde toujours à identifier. On ne répertorie qu'un unique simple sur Laniel, Ne t'en vas pas / À quoi bon pleurer, deux reprises respectivement de Sonny & Cher et Aaron Neville. Une entrevue avec Janice Dubé (épouse du guitariste) souligne que Les Gitans auraient pressé trois simples en tout, avec des compositions originales, mais cette révélation n'a toujours pu être confirmée... À quoi bon pleurer est entre temps disponible sur le Volume 16 de la série Les Introuvables, publiée chez les Disques Mérite.
Ce nouveau groupe remporterait assez de succès pour être remarqué par des promoteurs américains qui les invitèrent à rejoindre une tournée des États-Unis et du Canada en compagnie d'une pléiade de jeunes talents: Joey Dee (Peppermint Twist ), The Rivieras (California Sun ), The Rebels et surtout Bobby Day, alors connu pour son tube Rockin' Robin. On jugea rapidement que le nom du groupe ne passerait pas auprès du public anglophone et on prit la décision de rebaptiser Les Gitans sous le sobriquet The Chads. Le groupe de Bobby Day déclara soudainement forfait et on proposa in extremis à The Chads d'accompagner le chanteur. Alors que la tournée prenait fin, cette collaboration passagère devait néanmoins se poursuivre: The Chads signerait un contrat avec RCA et accompagnerait dorénavant le chanteur sous le nom de Bobby Day & the Midnighters. Une partie du groupe assista même aux sessions d'enregistrement voisines de James Brown et Dubé, à la demande du bassiste du groupe, se joignit même aux musiciens le temps d'un jam! On leur commanda bientôt un album sur lequel ils planchèrent six mois avant que le tout n'avorte. Malgré une chimie évidente sur scène, le public demeura apparemment timide devant les performances d'un groupe de quatre jeunes blancs-becs dirigé par un chanteur Noir. Curieusement, un spectacle dans «le nord du Québec» (Abitibi-Témiscamingue?) aurait même été annulé lorsque le groupe se serait présenté sur place, devants des promoteurs stoics à l'idée d'embaucher un groupe «mixte». Bien avant que ne soient populaires les groupes Love, Jimi Hendrix Experience ou Taj Mahal, l'idée d'un groupe mixte semblait trop avantgardiste. Autres temps, autres moeurs... Ce manque d'engouement incita malheurement les membres du groupe (sauf Dubé) à retourner au Québec; ainsi, leur album, tragiquement, ne fut jamais complété.
Après quelques temps passés à New York en compagnie de Day, Dubé revint au pays. Il dirigerait bientôt l'orchestre de Ginette Reno, en plus d'embaucher Claude Landry, ex-Echo Men, en tant que guitariste. Il rejoindrait ensuite momentannément le trio country Les Cavaliers de l'Est, avant de déclarer forfait. Il quitta le Québec en 1969 pour s'établir à Williams Lake en Colombie-Britannique où il entreprit une nouvelle carrière de peintre industriel en plus de jouer sporadiquement dans le cover band Mathias. Landry roulerait sa bosse professionnellement jusqu'aux années 80, enregistrant même au passage le hit Erreur Érotique avec son groupe New Wave Le Fric. Fans de Kaméléon, prenez note!
Je tiens à remercier Robert Thérien ainsi que Guillaume Éthier (Plaza Musique) pour leurs contributions des plus éclairantes. L'entrevue de 2001 avec Janice Dubé (veuve de Pierre Dubé) explique bon nombre de détails quant à la carrière des Echo Men et de Pierre Dubé, mais comporte aussi son lot d'incongruités. Elle demeure fascinante, toutefois il faut savoir en prendre et parfois en laisser... Le texte intégral peut être lu sur le site du défunt webzine Cosmic Debris. Un second article sur Spectro Pop à propos de la rencontre entre Bobby Day et The Chads / Les Gitans est aussi d'intérêt. Bonne écoute et danse!