Le
Temps des Fêtes semble toujours propice pour raviver notre intérêt
envers les breakdown,
les set callés
ainsi que les violonneux et autres musiciens traditionnels qui ont
forgé notre identité musicale. Province de tous les reels,
le Québec a publié sa part de chants folkloriques depuis le début
du XXe siècle et à ce sujet, je ne saurais trop vous recommander
une visite par le blogue Tradotronik
réalisé par le spécialiste Marc Bolduc, aussi animateur de
l’émission Tradosphère
sur les ondes de CIBL 101,5 FM. Les amateurs du genre seront comblés!
Avec les années 60, le genre trad
aura tendance à se métisser d’avantage, incorporant notamment des
éléments du rock dans son jeu, avec l’arrivée de nouveaux
talents tels Philippe Gagnon ou Dominique Tremblay. Toujours prêt à
relever un défi et à explorer de nouvelles tendances, le
producteur/chanteur Tony Roman imaginera deux albums qui, à ce jour,
demeurent parmi les plus singuliers de cette décennie. Rares et
convoités, les collectionneurs les connaissent d’avantage par
réputation; aujourd’hui, tendons l’oreille…
En
1968, la carrière de Roman est déjà bien établie. Ayant fait ses
débuts 5 ans plus tôt, il avait déjà fait partie de 3 groupes
(Tony Roman 4, Tony Roman 5, Les Dauphins), obtenu un succès fou en
solo avec sa reprise de Do Wha
Diddy (150 000 copies
vendues!), découvert Nanette Workman, produit une foule d’artistes, fondé ses propres étiquettes de disques (Canusa et plus tard
Révolution, A1, R&B, Majaro), animé une saison télévisée de Fleurs d'amour, Fleurs d'amitié... Ayant toujours un pied dans les
palmarès et l’autre dans l’underground, l’imprévisible
maverick
pouvait parfois être critiqué pour ses choix douteux et son
impulsivité, mais sa fougue demandait néanmoins le respect.
Pagliaro, Lepage & Shorter. |
Si
l’album Ouba
(réédité en 2001 chez GearFab) avait tout d’un long jam rock
simplement scindé en deux faces, les Reels
Psychadéliques offrent quelque
chose d’un peu plus complexe, mais tout aussi lousse. Les deux
volumes sont séquencés en divers reels où parfois plusieurs
moments distincts se confondent dans une seule et même chanson.
Clairement audibles sur la plupart des pièces, des spectateurs et/ou
des musiciens additionnels appuient le jeu des comparses de Roman
avec des bribes de conversations anodines et d’indispensables
envolées au violon. On se demande d'ailleurs qui peut bien être ce violonneux invité... Un simple combinant des extraits des deux
Volumes
est parallèlement publié en décembre 1969 avec les pièces Le
Reel du Pharmacien de Ste-Anne / La ballade de Rose & Alfie (intense et disjoncté).
Contrairement aux albums qui sont avares de détails, ce rarissime 45 tours crédite les musiciens comme le Nouvel Ensemble
Folklorique du Québec, un qualificatif plutôt audacieux pour le groupe de Roman. En comparaison avec Les Super Reels du Québec (album essentiellement trad publié sur Révolution), il faut quand même avouer que ce que on nous offrait maintenant, eh bien... c'était carrément dans une classe à part! Autre fait à noter: ce simple offre ce qui pourrait bien être le titre le plus court pressé en 45 tours au Québec. Le reel du pharmacien de Ste-Anne ne s'étire effectivement que sur un maigre... 35 secondes!
Publiés
sur étiquette Révolution, l’ensemble est une suite logique à
Ouba
(pressé simultannément sur A1) avec plus de titres distincts et une saveur folklorique en
prime. Deux volumes à considérer comme une seule et même oeuvre. Avant de savourer votre verre, soyez prévenus : y’a
probablement quelque chose de pas catholique dans le lait d’poule… Prenons le Volume 1 (pochette blanche). D'entrée de jeu, le Reel de la grosse Jeanne ainsi que Reel pour Dédé offrent quelque chose de convenu sans être psychadélique (sic), rythmé sans plus. Lorsqu'une Ballade des bibittes à feu embrase l'atmosphère du studio, on comprend mieux l'objectif du groupe tentant d'atteindre cet équilibre précaire entre un rock lousse et tonitruant et le jeu du frénétique violonneux. Trop poli, le résultat aurait probablement été anodin; ici, l'ambiance live, les quelques cris et une improvisation investie aident à partager efficacement le trip. Quelques reels plus loin, La modiste de Bertha poursuit l'expérimentation et offre un premier freak-out total. Ça décoiffe cette histoire de chapelière! On est plus près de la valse à vrai dire, mais après une introduction solonelle (orgue, violon, piano), on coupe sec pour mieux laisser la cacophonie s'installer! Quelques secondes de feedback plus tard, Le
Reel du Saumon poursuit sur
cette lancée rock avec un Roman criard et un lourd riff
qui sera aussi recyclé ailleurs plus loin dans... La drave
sur le second Volume.
Le reel de l’oncle Fred
est d’avantage ludique et fait efficacement le pont avec la
dernière pièce de Volume 1,
Le reel de Frontenac,
qui s’aglomère à un passage entendu précédemment dans La
modiste de Bertha. Pour un album
aussi court (29m02s), avouez que c’est plutôt touffu tout ça!
Le
Volume 2
(pochette noire) poursuit là où le premier Volume
s’est arrêté et ne déstabilisera pas l’auditeur averti. Il y a moins de titres, mais l'album gagne en momentum, comme quoi on peut sembler plus focus tout en sonnant toujours aussi lousse... Avec son blues plus concis qui laisse néanmoins de l'air à Shorter et au jeu désaxé du violoniste, Du foin pour Ti-Guy ouvre efficacement le disque. On renoue ensuite avec quelques mesures de valse alors La chose à tôt fait de nous rappeller qu'on a toujours affaire à la gang de Ouba lorsqu'elle s'anime follement autour d'un scat primal (vers 2m00s) de 5 minutes! Ayoye! La nuit de noce s'insère idéalement ainsi après la démence, dévoilant un clavecin jusqu'alors inédit dans ces sessions d'enregistrement. L'approche est plus délicate avec ses clochettes et bien qu'une crécelle vienne par moments nous surprendre, on se plait à penser qu'on aura droit à un numéro de pop baroque... Plutôt, on déconstruit la mélodie, on improvise allègrement, on crée une toile sonore, on crie à s'en plaindre: rude nuitée pour nos musiciens! Un
cadeau de Michel accentue
l’aspect brouillon de la réalisation. On arrête le tape,
on avance puis on reprend, on alterne entre moult segments pour terminer avec un dernier reel: décidément, nous sommes toujours en salle
de montage avec le groupe! Tony semblait bien pressé de conclure le mix pour vous laisser deux albums-cadeau sous le sapin en décembre 1969...
Si
quelques longs jeux populaires furent pressés sur étiquettes
Révolution ou A1 (Nicole & Frédéric, La
Révolution Française, Donald Seward, Christian & Gétro ),
on y retrouve néanmoins bon nombre d’albums grivois et
folkloriques (Ti-Poil la carotte,
Eille! Ça c’est cochon, As-tu envoyé ton 2$?
). C’est bien connu : Roman n’avait pas froid aux yeux et
l’idée de financer des projets plus risqués par la vente de
disques fantaisistes semble logique. Le tirage apparemment limité de la série
« Freak-Out Total » laisse toutefois quelques questions
en suspens. Est-ce que le thème était jugé trop marginal pour
générer plus de copies ou bien cherchait-on combler quelques
lacunes budgétaires aux catalogues Révolution et A1? Un tel
phénomène – qualifié de tax
scam aux États-Unis- fut
longtemps utilisés pour boucler les budgets. On réalisait des
albums en vitesse, le plus souvent avec des pochettes génériques ou
un design minimal, distribués -ou non!- avec peu de promotion.
L’album faisait le plus souvent un bide, mais réussissait
néanmoins à justifier
certains frais opérationnels de la compagnie. Était-ce le cas ici?
On jase, là… Ça
pouvait être aussi tout simplement
un beau risque : deux albums nés aussi rapidement qu'un jam impromptu...
juste pour le fun. Il ne faudrait pas sur-analyser deux albums de «reels psychotroniques» après tout.
Avec 1969, c'est un nouveau Tony Roman qui s'offrait médiatiquement. De son propre aveux, il délaissait les chanteurs populaires qui avaient fait beaucoup chez Canusa (Les Baronets, Patrick Zabé, Johnny Farago) pour se concentrer sur de nouveaux talents, plus rock ou marginaux (Georges Thurston, La Révolution Française, Les Hou-Lops, Madeleine Chartrand), tout en publiant ses nouvelles compositions toujours aussi hétéroclites. Il clamait avoir vaincu les démons de la drogue, mais était-ce bien le cas? Chose certaine, pour Noël 69, il était allumé et généreux, publiait notamment l'album Le Réveillon de la Famille Canusa et s'offrait même une mini-campagne publicitaire en placardant ses voeux à quelques pas de ceux de... John & Yoko. Sacré Tony! Finalement... je goûterai bien à son lait d'poule! Bonne écoute & Joyeuses Fêtes!
Récemment, Étienne soumettait cette intéressante théorie: Est-ce que le violonneux serais un membre de la famille Marineau que
Tony a sortie sur Révolution RE 8001, juste avant Reel Psychadéliques RE
8002 et RE 8003 ? J'ai décidé de consulter un spécialiste du genre, Marc Bolduc, animateur de Tradosphère sur les ondes de CIBL 101,5 FM et blogueur émérite sur Tradotronik. Voici ses conclusions: Le peu que je connaisse de la Famille Marineau, à part
quelque prénoms, il me semble surprenant qu’ils aient pu faire partie d’un
tel projet, mais: qui sait? Parmi les noms que j’ai pu retrouver (je
n’ai pu identifier le paternel…) il y avait dans le groupe: Adrien,
Aube-Alma (Obalma?),Gérald, Irène, Jeanne, René Marineau et Yvette
Marineau et de Fernand Pellerin. Je serais surpris qu'il s'agisse des même, me semble
que ça fitte pas, surtout que les Marineau étaient assez "folkloriques",
peut-être trop pour aller dans cette direction. Ceci dit, ce pourrait
être des gens de la famille élargie... En espérant que cela puisse contribuer
à tes recherches. On peut donc toujours spéculer... Merci messieurs!
Avec 1969, c'est un nouveau Tony Roman qui s'offrait médiatiquement. De son propre aveux, il délaissait les chanteurs populaires qui avaient fait beaucoup chez Canusa (Les Baronets, Patrick Zabé, Johnny Farago) pour se concentrer sur de nouveaux talents, plus rock ou marginaux (Georges Thurston, La Révolution Française, Les Hou-Lops, Madeleine Chartrand), tout en publiant ses nouvelles compositions toujours aussi hétéroclites. Il clamait avoir vaincu les démons de la drogue, mais était-ce bien le cas? Chose certaine, pour Noël 69, il était allumé et généreux, publiait notamment l'album Le Réveillon de la Famille Canusa et s'offrait même une mini-campagne publicitaire en placardant ses voeux à quelques pas de ceux de... John & Yoko. Sacré Tony! Finalement... je goûterai bien à son lait d'poule! Bonne écoute & Joyeuses Fêtes!
La marde ça pue, mais la guerre encore plus! Roman pastiche Lennon pour vous offrir ses meilleurs voeux des Fêtes en 1969 (Photo Vedettes, janvier 1970). |