mardi, juillet 31, 2012

Emilhenco Pop - Québec 2000 / Olympiques 76 (Magali MAG 7025; 1976)


En 1976, Montréal ouvrait de nouveau ses portes au monde entier en organisant les Jeux des 21e Olympiades modernes. Sur le plan musical, plusieurs artistes se sentirent interpelés et tentèrent leur chance en composant un hymne aussi épique que le plus récent rêve urbaniste du maire Drapeau. Pour un temps, la chance souriait au jeune prodige René Simard. Son simple Bienvenue à Montréal, co-écrit avec Vic Vogel et Claude Lacombe, reçu une promotion exemplaire de son gérant, Guy Cloutier. La plupart des stations radiophoniques boycottèrent néanmoins ce sous-produit de la pop, le jugeant trop naïf. Leur objection encouraga le comité olympique à rapidement corriger le tir en proposant un nouveau concours pour dénicher l'hymne des hymnes. Le jury serait alors présidé par nul autre que Stéphane Venne, celui-là même qui avait composé le célèbre Un jour, un jour pour l'Expo 67. Au final, seule la chanson Je t'aime interprétée par Estelle Ste-Croix serait officiellement retenue. Bons joueurs, tous les autres concurants - François Dompierre, Charles Linton, Germain Gauthier, Pierre & Yannic Létourneau pour ne nommer que ceux-ci- seraient néanmoins inclus sur l'album 10 chansons finalistes du concours de la chanson d'adieu. Parallèlement, on publiait l'ultime coffret encapsulant l'ambiance musicale des jeux de Montréal intitulé Musique des cérémonies officielles. Avis aux complétistes, quelques perles jazzées se terrent au travers des ballets et cantates proposées.


Emilhenco.
En marge des podiums et des palmarès, l'artiste français Emilhenco proposera aussi d'orchestrer le rythme effreiné des compétitions par le simple le plus explosif publié à l'occasion des jeux. Que pouvait bien faire ce twisteur méconnu de la première époque dans la Belle Province? En 1976, il avait déjà publié une douzaine de simples et EP, tous pour la plupart bien rangés et innofensifs. Rien ne pouvait donc préparer l'audiophile averti à cette exclusivité québécoise publiée sur l'étiquette Magali. Les deux compositions sont attribuées à Emilhenco Pop et son signées J. Raiteux et Emilhenco. Comme il s'agit de deux pièces instrumentales, j'étais tenté de croire qu'il s'agissait des musiciens attitrés de l'artiste. Est-ce que la carrière du chanteur avait pris un similaire tournant funky au cours des années 70? Pas vraiment. Jouait-il avec eux? Je ne saurais le dire. Le nom de son collègue nous donnait par contre une piste fort pertinente...

J. Raiteux est un artiste prisé par les amateurs de library music, ce créneau musical réservé à l'origine exclusivement aux télédiffuseurs et publicistes de tout acabit. Il s'agissait le plus souvent de bandes sonores fictives ou de musique incidentielle pouvant être utilisées en trame de fond dans des reportages, en guise d'ambiance sonore dans les publicités... bref, de la musique d'ameublement comme disait Erik Satie. Ces albums n'étaient pas disponibles pour la vente aurprès du public et leur découverte depuis quelques décennies a mis à jour une tendance méconnue et pourtant si répandue, au bonheur des ciné-audiophiles et autres DJs en quête d'échantillonages inédits. Sous son véribale nom, Jean-Bernard Raiteux a participé à plusieurs de ces enregistrements en France, mais son magnum opus demeure ce premier album qu'il signa pour son groupe, Harlem Pop Trotters. Emilhenco + Harlem Pop Trotters = Emilhenco Pop! Oh! On tient peut-être quelque chose... À la fois funky, psychédélique et jazzé, cet amalgamme de 1972 inititulé « Musique pour l'image No 39 » offrait, comme son titre l'indique, des oeuvres spécialement conçues et enregistrées pour l'illustration sonore d'émissions télévisuelles, radiophoniques ou cinématographiques. On retrouvait déjà sur No 39 quelques indicatifs instrumentaux titrés de références sportives comme Rage de ski, Judo K, Galop pour un 100 mètres ou Voile en la mineur.


La comparaison ne s'arrête pas là puisque le simple du Emilhenco Pop émet la même singulière vibration que les pièces les plus inspirées du premier album des Harlem Pop Trotters. On est en terrain connu et à notre grand bonheur, le groupe est toujours tissé aussi serré! Un titre clairvoyant, Québec 2000, s'impose dès les premières notes fuzzées de son guitariste avant qu'il n'enflamme la stratosphère par un solo aux dimensions épiques! Plus haut, plus loin, plus FORT! Imaginez un montage vidéo au super-ralenti d'athlètes de tous sports se défonçant comme jamais avec cette bande sonore pour les cadencer. Des visages qui se tordent, des muscles qui se contractent... Pas de doute, ces musiciens avaient une approche cinématographique sur disque et carburaient probablement à même la flamme olympique!



En face B, Olympiques 76 fait appel à quelques cuivres et ralenti le rythme pour un temps avant de céder la place à un groove tenace pimenté d'un charmant solo de flute picollo. Un jive pour la victoire, en quelque sorte! Drôlement efficace comme bande sonore, ... mais une question demeure: fut-elle utilisée dans un reportage ou un documentaire à l'occasion des Jeux Olympiques de Montréal? Est-ce que ces deux titres étaient ultimement destinés aux retransmissions de la délégation française? Allez savoir... On sait qu'à l'époque, l'étiquette Magali miserait de nouveau sur la fièvre sportive en publiant quelques jours plus tard un simple thématique pour Serge Laprade, Vive les jeux olympiques (MAG 7060). Peut-être cherchait-on à se spécialiser?


Si vous avez des informations quant aux escapades québécoises de Jean-Bernard Raiteux et Emilhenco et leurs autres collaborations ou avez identifié les thèmes de leur 45 tours dans un documentaire de l'époque, contactez-nous! Savourez entre temps ces deux exclusivités, inédites et non-compilées depuis leur publication originale. Bonne écoute!

Rare Quebec-only 1976 single by Emilhenco Pop, an obscure collaboration between Jean-Bernard Raiteux's Harlem Pop Trotters and french singer Emilhenco. Released during the Montreal Olympics, it could have been used as a soundtrack for a documentary or some random shots of the games. Who knows? It's aggod and as funky and as heavy as the songs on Harlem Pop Trotters first album. To the best of my knowledge, these have never been comped or sampled. If you have informations about these obscure «librairy music» recordings, please email us about it. Enjoy!

dimanche, juillet 29, 2012

Les Fanatiques - Là où nous allons / Le jour où tu reviendras (Plaza PL-6008; 1966)

 Les Fanatiques, vers 1965: Claude Côté, Guy-Lomer Couture (Muthy), Jacques Dechamplain & Richard Côté.

En m'inspirant de l'attachement culturel de l'ami Félix B. Desfossés (Vente de Garage) pour les productions de son abitibi natale, j'arpente aussi depuis des années les disquaires de la province à la recherche d'artistes issus de ma terre d'enfance, le Bas St-Laurent. Originaire de Luceville, un tranquille village près de Rimouski, je me surprends d'avoir attentdu si longtemps avant de vous entretenir de cette vague déferlante de groupes qui s'abattait sur l'Est du Québec -comme dans toute autre région d'ailleurs- durant les années 60. S'il est vrai que, même influents, peu d'artistes de Rimouski eurent le privilège de léguer un 45 tours ou un album pour la postérité, je n'avais pas à chercher bien loin pour rendre hommage à la frénésie qui chauffait les salles de danse de l'époque. Mon oncle fut guitariste pour les formations Les Bohèmes puis Les Balnéaires; ma tante tomba sous le charme du chanteur François Ricaud; ma mère sortie avec le chanteur des Vibratones; mon père vendait sa voiture au guitariste des Fanatiques l'an dernier; j'ai collaboré il y a longtemps avec la chanteuse Lyse Poirier en plus d'avoir Denis Grondin et Jean Rabouin des Polytones comme enseignants... Les signes me semblaient évidents; le temps était venu de réapprivoiser et diffuser tous ces artistes rimouskois.Tu peux sortir le gars de l'Est, mais pas l'Est du gars.


 


 

Voici un aperçu plus que sommaire de la scène rimouskoise des années 60. Toutes les photos des artistes proviennent de la collection personnelle du journaliste Hughes Albert et sont tirées de l'édition spéciale de l'hebdomadaire Le Rimouskois à l'occasion de la première édition du festival Rétro Rock 60. Ce happening au succès immédiat réunissait sur scène la plupart des artistes qui avaient fait danser les jeunes de la région 25 ans auparavant. Ces instants privilégiés et rares performances auxquelles j'avais pu assister en mai 1989 semblaient faire vibrer toute la région comme jamais je ne l'avais perçu auparavant. 


Les Polytones, 1959 (coll. personnelle Hughes Albert).

Ils étaient plusieurs à participer à la première vague de rock n roll puis à contribuer à la frénésie yéyé au Bas St-Laurent: Les Riki-Rocks, Les Polytones, Les Garçons du Rythme, Les Idéfix, Les Rit-Miks, Les Majestiks, Ricky et les Dynamiques, Les Satellites, Les Balnéaires, Les Céciliens, Les Vibratones, Les Imprévus, Les Bourgmestres ou Les Nobles. Du lot, quelques-uns se démarquaient aisément sur la scène rimouskoise par leur impressionnant fanclub: Les Fanatiques avec leur charismatique guitar hero; les Bohèmes, dignes représentants du merseybeat ainsi que le soloiste François Ricaud qui pouvait se vanter sans exagérer d'avoir chanté pour tous les groupes de la région. Nous reviendrons sur ces quelques derniers dans de futurs articles. Pour le moment, misons sur Les Fanatiques. J'ai eu le plaisir de m'entretenir à l'été 2011 avec Guy-Lomère Couture, mieux connu sous le nom de Muthy, ancien guitariste du groupe.

En compagnie de Muthy, été 2011.

SD : D'où vous vient le surnom de Muthy?

GLC : Ça vient de ma marraine. J'avais 5 ans, elle me trouvait grassette... comme une motte. Mes frères et mes amis revenaient toujours avec ça et ça ma suivi depuis. 

SD : Comment avez-vous démarré votre carrière musicale?

GLC : J'ai participé à un concours amateur dans un bar à l'angle Rachel / St-Denis à Montréal, vers 1960-61, avec mon cousin et un ami. J'avais 17 ans; on voulait juste tenter notre chance sur une scène. C'est là que j'ai croisé Johanne & the Glazers. Ils venaient de perdre leur guitariste et m'ont demandé de rejoindre leur groupe. Johanne serait plus tard connue sous le nom de Moira. On a joué ensemble tout l'été et on s'est perdu de vue à l'automne.

Les Caravelles ouvrent pour Moira, mai 1964.

Je suis déménagé à Québec pour joindre l'armée de 1962 à 1965. J'écoutais beaucoup de Chet Atkins ou The Ventures et cherchait à émuler leur notes étirées. Je me suis procuré des cordes "light gauge black diamond flat wound" et une 2ème (si) ".016" plain"  pour remplacer la troisième corde et ça fonctionnait. En 1964, je me procure une Gibson ST-45 et un Dynacord (aussi appelé Echocord, un proche parent de l'Echolette): ça sonnait tellement bien! Je rejoint alors un autre groupe entièrement composé de militaires, Les Caravelles. Pierre Gingras était notre chanteur et avec lui, on s'est retrouvé dans un concours d'orchestres au club Le Baron de Montréal... concours que nous avons gagné. Notre prix: un contrat d'une semaine au Baron et un voyage à New York... pour une personne! *rire*

Les Caravelles remportent le coucours d'orchestre au cabaret Le Baron (1964).

De l'automne 64 au printemps 65, je jouais avec un groupe de Loretteville: Les Métronomes. Lorsque j'ai quitté l'armée, je me suis ramassé à Mont-Joli. 

SD : C'est à ce moment que vous avez rencontré les Fanatiques, évoluant alors en trio avec Claude Côté, Jacques Dechamplain & Richard Côté?

GLC : Oui. Je visitais le Jolly Rogers à Mitis. Les pièces qu'ils jouaient, je les connaissais toutes. Je leur ai offert de devenir leur guitariste solo et ça a cliqué instantannément. J'ai quitté mon nouvel emploi à l'hôpital de Mont-Joli et ai ainsi pu vivre de ma musique pendant au moins trois ans.

SD : À propos, vous vous présentiez comme les Fanatics ou les Fanatiques?

GLC : On utilisait les deux versions. On l'avait fait écrire en anglais sur l'étiquette du 45 tours. C'était aussi probablement pour sauver des lettres au moment de l'écrire sur le bassdrum ! *rires* 

SD : Vous performiez à Rimouski?

GLC : Surtout à l'extérieur, au début. Quand on revenait à Rimouski, on était en break. Plus tard, quand on s'est établi à Rimouski pour y jouer à toutes les fins de semaines, la scène avait changé: y'avait maintenant un groupe qui jouait à chaque coin de rue!

SD : De quoi était composé le répertoire des Fanatiques en spectacle?

GLC : Surtout des reprises; on pouvait passer des Beatles à Gilbert Bécaud... On a pas interprété notre 45 tours longtemps sur scène. On jouait aussi les Beach Boys, les Stones, Les Yardbirds et même du Aznaour. On se produisait le plus souvent en programme-double et on misait essentiellement sur la musique de danse. En spectacle au Quai Narcisse à Rivière-du-Loup, on avait ouvert pour les Bel Canto (qu'on connaissait déjà de nos séjours montréalais) et c'est grâce à eux qu'on a pu enregistrer notre 45 tours. Ils ont convaincu le patron du bar de payer pour l'enregistrement une fois notre contrat terminé. On s'est rendu aux studios StereoSound (sur Côte-des-Neiges à Montréal) à l'automne 65. Sur cet enregistrement, on peut entendre notre premier batteur, Jacques Deschamplain, qui serait bientôt remplacé par Denis, Raynald puis plus tard dans les années 70, Claude Côté.

Au printemps 66, nous étions de retour à Montréal pour jouer au Café St-Jacques et à la Casa Loma. Les performances se suivaient, il y avait des danseuses à gogo -parfois en cage!- la musique était en continue, ça s'arrêtait pas. Nous, on restait un mois ou plus, mais les vedettes s'y succédaient à chaque semaine. Lors de nos passages, nous partagions la scène avec The Preachers, un autre groupe signé sur Plaza. On tournait beaucoup; en peu de temps, on a pu se produire dans toute la province.

SD : Quels groupes québécois affectionniez-vous particulièrement.

GLC : J'étais déjà un fan des Ventures, alors j'adorais Les Mégatones. Il y avait aussi Les Mercedes qu'on aimait beaucoup. Lorsque Johnny Farago a quitté le groupe, on les voyait souvent à Rimouski. On avait fait un spectacle au Quai Narcisse avec Les Blue Sisters; elles étaient bonnes... mais de vraies sainte-nitouche!


De gauche à droite: Claude Côté; Richard Côté; Pierre Villeneuve (du groupe Les Bohèmes) chantant pour les Fanatiques ainsi qu'une fan de la première heure, ma mère (collection personnelle; 1968).

SD : Lorsque vous reveniez dans le Bas St-Laurent, quelles salles vous accueillaient?

GLC : Y'en avait beaucoup. À Rimouski, c'était l'Hôtel Normandie, l'Hôtel du Hâvre et la salle des JOC (Jeunesses Ouvrières Catholiques). Il y avait aussi Le Bogey à Pointe-au-Père, Le Manoir St-Laurent et l'Hôtel Lebel à Luceville, l'Hôtel Royal de Price ou le Club des Racketeurs et Ti-Noir à Ste-Blandine. À part les Balnéaires, on croisait rarement les autres groupes de la région: on travaillait tout le temps...


Le Manoir St-Laurent de Luceville et l'Hôtel du Hâvre à Rimouski.

SD : La dissolution des Fanatiques a lieu en 1977. Vous avez fait partie de d'autres groupes par la suite?

GLC : Express en 1979, ensuite Harmonie puis Hélium de 1983 à 1985. À ce moment, on jouait un répertoire plus près des palmarès, avec de maudits bons musiciens. [ Muthy produirait aussi son propre album instrumental dans les années 90, Fingerstyle ]


Après ce survol biographique, revenons sur l'unique 45 tours du groupe. Enregistrées à l'automne 1965, les deux compositions du tandem Guy-Lomère Couture et Claude André n'ont jamais fait l'objet d'une quelconque réédition et ne furent jamais compilées. Elles rejoignent ainsi la plupart des autres titres pressés sur l'étiquette Plaza. Pour une rare fois, c'est la face A, Là où nous allons , qui se déchaîne brusquement. Affichant malgré tout une certaine retenue, cette composition offre quelques aspects juste ce qu'il faut de grinçant avec ses couplets d'accords mineurs en stop-and-go et la guitare de Muthy aux refrains. L'ensemble émule à la fois la rigueur du merseybeat et la personnalité caustique du rock garage naissant. Bref, c'est dans ta face et dans tes hanches; envoye debout pis danse!


Le jour où tu reviendras , au revers, est une ballade up-tempo où les choeurs s'imposent en douceur entre quelques mesures bien fluides de la guitare solo. La structure générale rappelle immédiatement la face A, mais l'optimisme de la mélodie à tôt fait de nous faire oublier ce détail. C'est accrocheur et dansant, avec une certaine naïveté qui n'est pas sans rappeler le son du groupe abitibien Les Titans (piano en moins). Somme toutes, le groupe a légué un simple réussi pour la postérité, totalement représentatif de son époque transitoire. Puisque Les Fanatiques ne l'ont interprétés qu'à de rares occasions depuis, voici donc votre chance de lui donner une seconde écoute chaudement méritée!

Je tiens à remercier chaleureusement Guy-Lomère Muthy Couture pour son accueil, ses anecdotes et coupures de presses. J'aimerais à nouveau souligner le travail de défrichage essentiel qu'à réalisé le journaliste rimouskois Hughes Albert depuis quelques décennies. Son influente démarche à su catalyser à la fin des années 80 une passion pour le rock québécois chez votre humble blogueur. Chapeau bas!  D'autres articles à propos de la scène rimouskoise suivront dans les prochains mois. Les prochains en lice: Les Bohèmes! En attendant, bonne lecture et écoute!

Si vous avez fait partie d'une des nombreuses formations listées plus haut et souhaitez partager avec nous vos anecdotes, photos ou enregistrements, je vous invite à me contacter ici. Votre témoignage m'importe!






lundi, juillet 09, 2012

Marc Lebel - Un de plus (Escales; 1971)



 

Dans les récentes années, j'ai souvent abordé ma passion pour les enregistrements québécois sous formes de pressages privés, ces précieux et parfois anondins témoignages sur vinyl qu'on abordera la plupart du temps de biais, avec une quelconque méfiance. Rarement de front. On s'y intéresse généralement après avoir écumé les noms les plus réputés d'un style, en y comblant les références les plus obscures, essentielles aux oreilles du complétiste. Leur singulière beauté peut aisément être ignorée à la première écoute, mais saura s'installer confortablement dans votre psyché par ses risques stylistiques, ses textes marginaux et ses expérimentations approximatives. Un de plus de Marc Lebel s'impose certainement comme l'un de ces pressages les plus réussis. Publié timidement sur étiquette Escales, une sous-division des disques RM (Radio-Marie) basés à Cap-de-la-Madeleine, cet album demeure l'un des témoignages politiquement engagés les plus vitrioliques de son époque. Parallèlement aux albums concept Des gens comme vous et moi ou Le Troisième Seuil d'Agapè, ce rarissime long jeu s'inscrit dans ce que je me plaisais à décrire comme "la Sainte-Trinité des pressages privés québécois". Suivant un printemps de grands remous, j'ai récemment repris contact avec le chansonnier originaire de Notre-Dame-du-Lac dans le Bas St-Laurent qui a généreusement ouvert sa boîte à souvenirs...

Marc Lebel & René Dupéré, septembre 1970.


S.D. Votre nom apparaît pour la première fois dans différents projets du GAP. Avez-vous été membre d’autres formations musicales avant?

M.L. Non, le seul groupe dont j’ai fait partie, c’est celui pour le spectacle La fin des temps, avec René Dupéré.


S.D. Comment vous êtes-vous associé au GAP (Groupe d'Animation Pastorale) ?


M.L. À cette époque, l’audio-visuel entrait progressivement dans les classes avec la pastorale. Le Studio RM (Radio-Marie était opéré par des pères Oblats de Marie Immaculée) près de la cathédrale du Cap-de-la-Madeleine travaillait dans cette optique. Pour faire une histoire courte, à l’hiver 1970, je me retrouve enseignant de français en secondaire 3, à la polyvalente d’Ancienne-Lorette, en banlieue de Québec. Rapidement, René Dupéré, qui y enseignait la musique, devient un de mes amis. Il travaillait déjà avec le Studio RM et faisait de la musique pour leurs diaporamas.


S.D. André Dumont mentionnait justement que le groupe utilisait les productions musicales dans des ateliers scolaires de catéchèse en les jumelant à des projections de diapositives. Pourriez-vous décrire les activités du GAP ?


M.L. Non, pas vraiment. Mais je sais qu’à cette époque, la catéchèse prenait beaucoup de place dans les écoles. C‘était à la suite de Vatican II. Mais, je n’ai pas fait partie du GAP, je n’en connais pas plus que cela sur ses origines, ses orientations, ses réalisations et ses résultats.

S.D. Comment en êtes-vous alors venu à travailler avec eux?


M.L. Durant l’hiver 70, à la polyvalente de l’Ancienne-Lorette, nous vient l’idée, à René et moi, de monter un spectacle avec de nos étudiants : Gilles "Maxell" Bergeron joue de la basse, Henri "Caniche" Robitaille écrit des textes que je mets en musique. J’apporte aussi beaucoup de mes chansons; René et moi en écrivons aussi ensemble. Le spectacle s'intitulait La fin des temps, du titre de la chanson que René et moi avions écrite pour l’occasion. Le spectacle a lieu à la fin de l’année scolaire dans l’auditorium de la polyvalente.



Entre temps, René avait parlé de notre travail au gens du GAP qui ont décidé d'en faire un disque un peu bizarre. Il comprendrait de nos chansons, mais aussi des chansons de ces personnes du GAP, dont le Père André Dumont, pilote du projet. La chanson La fin des temps serait la pièce maîtresse de ce 33 tours. Sur Le Troisième Seuil, je n’ai pas prêté ma voix à toutes mes chansons parce qu’André Dumont trouvait que je n’étais pas dans le bag au niveau du contenu. Comme si je ne savais pas ce que j’avais écrit ou que je ne chantais pas assez du nez...

Puisque que ce projet-là prenait plus de temps, on m'a proposé de réaliser un disque personnel, avec mes chansons et mes amis. On est rendu en fin été 1971. À ce moment, j'étais animateur à l’auberge de Jeunesse la Petite Bastille - l’ancienne prison des plaines d’Abraham, aujourd’hui intégrée au Musée National des Beaux arts du Québec. C’est comme cela qu’est né Un de Plus. Un de nos musiciens, Weilly Viens, était un des itinérants de la Petite Bastille. Je ne l’ai plus jamais revu par la suite.


S.D. Vos collègues René Dupéré (déjà productif chez RM) et Gilles Bergeron de Agapè sont présents sur Un de plus. L’enregistrement de votre album suit ou précède celui de Agapè ?


M.L. Gilles Bergeron est présent sur Un de plus parce qu'il était déjà musicien pour le spectacle La fin des temps. Un de plus fut enregistré en un seul samedi - one night, one shot, one take - en 1971. L’enregistrement du Troisième Seuil de Agapè s’est déroulé sur plusieurs fins de semaine. On ne faisait qu’une chanson à la fois...

Marc Lebel


S.D. Votre œuvre témoigne de préoccupations politiques et sociales évidentes qui font de vous une des voix les plus franche et directe du protest song québécois. Est-ce que vos musiciens partageaient la même fougue?


M.L. Honnêtement, je ne sais pas. René, certainement. Nous étions vraiment sur la même longueur d’ondes : plutôt de gauche et indépendantistes. Pour les autres, je l’ignore totalement.


S.D. Avez-vous eu l’occasion d’interpréter les chansons de votre album sur scène?


M.L. Oui. Le spectacle La fin des temps créé au printemps 1970 fut repris à l’automne au pavillon Marie-Victorin de l’école secondaire Rochebelle de la commission scolaire de Sainte-Foy et à l’École Normale du campus Notre-Dame-de-Foy de St-Augustin de Desmaures. On a fait aussi une représentation à l’école Beaubien de Montmagny. Dans notre spectacle, il y avait beaucoup de mes chansons qui apparaissaient sur Un de plus, sauf bien sûr, New-York et Robidoux qui étaient essentiellement des jams...



À l'époque, je devais me louer une guitare électrique. Je devais aussi louer d’autres instruments pour les musiciens. C’était toujours la misère. Tu liras qu’on a eu de la misère à Montmagny, mais la pire expérience avec la technique, ce fut au Pavillon Marie-Victorin. On jouait dans un gymnase au bout duquel il y avait une sorte de scène. Le son était tellement horrible que Gilles Bergeron est resté en coulisse pour jouer de la basse. Ça faisait dur pas à peu près.


S.D. De quelle chanson, extraite de votre album, êtes-vous toujours le plus fier?


M.L. Je crois bien que c’est Je vous salue Marie. Elle m’a value beaucoup d’éloges. Je l’ai déjà même entendu être chantée par des groupes scouts.


S.D. Avez-vous réalisé d’autres enregistrements à la suite de Un de plus? Vous mentionniez il y a quelques temps l’enregistrement d’une violente critique à l’endroit d’André Dumont intitulée « Le troisième flop ». Est-ce que cet enregistrement existe toujours?

M.L. J’ai vainement cherché cette bobine qui, hélas, est disparue. Quand nous avons reçu le disque (Agapè - Le troisième seuil ), j’en étais honteux. On avait ajouté plein de sons à notre travail en studio. C’était dégueulasse. Moi, la catéchèse, je m’en foutais pas mal. De voir aussi la pochette psychédélique, le carton jaune qui sert de livret avec un gars (Alain Dumont - La 5e Dimension) qui se fait photographier dans un cadre, je trouvais ça innocent.


C’est là que j’ai écrit Le troisième flop. À ce moment là, j’étais appariteur au département des technologies de l’enseignement à Laval. J’avais accès à bien du matériel. C’est la que j’ai fait l’enregistrement sur une musique dont je me souviens de l’air mais pas du titre. C’était écoeurant…



Pour imaginer le résultat, je vous invite à redécouvrir la pièce Le troisième seuil de Agapè alors que vous lirez le texte lourdement trafiqué par Lebel. Ayoye!

Marc Lebel, Le troisième flop (inédit; 1971)

Tendons l'oreille maintenant à Un de plus.

La facture graphique minimale du recto de la pochette présente un portrait brouillon de Lise Lamontagne où, curieusement, le nom de l'artiste s'impose au détriment de celui de Lebel. L'orientation du dessin implique même qu'on insère le disque par en haut (et non sur la droite comme c'est la norme). D'une économie graphique similaire à de nombreux autres pressages privés québécois, ce détail renforce dès lors l'idée qu'il s'agit d'un album fait-main, gossé en marge de l'industrie

Les musiciens de Un de plus. De gauche à droite: Marc Lebel, René Dupéré, Jacques Boivin, Weillé Viens,
Gilles Bergeron, Laurent Samson, Pierre Baulé, Marc Lebel. (Photos: Marcel Gilbert)

Le début de la décennie 70 illustre bien les mutations culturelles qui animent le Québec depuis le début de la précédente décennie. Passés l'Osstidcho ou la Crise d'Octobre, notre révolution devenait de moins en moins tranquille... Lebel, à sa manière, chante l'évolution de notre conscience sociale, ses interrogations, ses doutes et ses désirs... sans flafla. On en voulait plus du faux-fini plastique qui gomminait autrefois les productions yéyé en province. En 1971, on cherche maintenant à dire les vrais affaires, on mise sur l'essentiel... C'est comme ça notamment avec le protest folk et force est d'admettre que Marc Lebel avait plus d'une crotte sur le coeur...

Ambition, la pièce ouvrant l'album, vous sidèrera par la pertinence de sa critique politique, son propos - outre quelques références catholiques- étant toujours aussi actuel aujourd'hui qu'il y a 41 ans!

J'ai pas envie de devenir un ministre. J'ai pas envie, c'est un job trop sinistre.
Moi, j'ai envie de devnir député. Moi j'ai envie d'être aimé dans mon comté.
J'ai pas envie qu'on vienne m'arrêter. J'ai pas envie: j'ai appris à m'la fermer.

Après notre Printemps Érable et l'imminence d'élections au Québec pour l'automne 2012, avouez que ces paroles résonnent toujours autant. Définitivement terre à terre, le style percutant de Lebel s'apparente en quelques sortes à celui d'autres chansonniers vitrioliques de l'époque tels Réal Barrette ou Plume Latraverse. La direction musicale de René Dupéré est brouillonne, mais néanmoins inventive; elle fait appel à quelques mesures improvisées à la trompette ajoutant sur ce titre et ailleurs sur l'album, une note solennelle aux constats dramatiques que dépeint Lebel. Désabusé devant un Québec qui recherche tant bien que mal à clamer sa souveraineté, notre poète-chansonnier en rajoute sous les barissements cuivrés qui annoncent Les éléphants. Une guitare wah-wah meuble le discours surréalistiquement lucide du chanteur avant qu'une conclusion plus rythmée et cacophonique intensifie sa prose.

On ne peut pas toujours parler pour se faire entendre.
Mais moi j'suis tanné de crier: what does Quebec want.



Les Américains se politise d'avantage alors que Lebel échange avec un allophone candidement personnifié par Weillé Viens. Leur conversation bilingue se termine intensément, en queue de poisson, au moment où notre chansonnier exaspéré lance un «Ah ben mange d'la...» avant de céder à une brève conclusion instrumentale improvisée (New-York ). Vietnam s'internationalise et remet ça avant de fusiller la société de consommation issue du rêve américain qui constraste avec les combats qui avaient lieu parallèlement en Asie. La guitare fuzzée de Gilles Bergeron écrase bientôt tout sur son passage, concluant avec fracas la face A (Chansons pour l'endroit). Du tonnerre!

Marc Lebel, d'hier à aujourd'hui (photomontage extrait du blogue du chansonnier)

S'il y a un titre de l'album qui réussi à fusionnner l'esprit critique et le venin musical du chanteur, c'est bien l'incandescant protest-rock Les balounes en face B (Chansons pour l'envers). Voilà une diatribe comme on en entend rarement au Québec! Le piano et la guitare sèche battent la mesure sur les envollées célestes d'un soliste carburant au fuzz et au wah-wah avant que la trompette ne s'y substitue: une trame d'enfer pour un propos coup d'gueule! Un intense et sèvère moment de lousse poésie, qui n'est pas sans rappeler l'intesité de Vous êtes pas tannés de crever qu'il composait parallèlement pour Agapè.

Société de consommation. Société quand tu nous tiens.
Société de sommation. Société quand tu fous rien.
Des hirondelles en plastique et des amants synthétiques.
Des éléphants en mastique et des grosses villes pleines de flics [...]
Société bureaucratique. Société technologique.
Société très démocratique. Société, j'sus tanné en «côllique».



La pluie, qui ouvre la face B, semble annoncer une tengeante plus pop pour le chansonnier. Le couplage de la mandoline de Dupéré à la guitare wah accentue la référence aquatique, c'est mignon. En fait, cette fausse naiveté camoufle le regard aiguisé d'un poète aussi cynique qu'éveillé. La vengeance est douce au coeur de l'indépendantiste... 

La pluie qui tombe jusqu'à terre, c'est gratis pis c'est pas cher
La pluie qui tombe jusqu'en bas, les Anglais ne l'achèteront pas.
Moi j'ai acheté mon Québec-Presse,  qui fait la pluie et le beau temps.
Ça c'est à nous autres, faut pas qu'ça cesse
Parce qu'y fait chier l'gouvernement.


De l'aveu de Lebel, Robidoux était un jam vaguement improvisé par lui-même et Willie Viens lors des séances d'enregistrement. On se dit qu'à errer sur la route comme il l'a fait, notre vagabond aurait eu le temps de songer à une chanson plus mémorable... La mélodie est effectivement cyclique et l'histoire plutôt anecdotique de l'ittinérant manque de séduire jusqu'à 5m15s, moment où constate que son parcours l'a mené tout droit au studio avec ses nouveaux copains musiciens. Touché, mon Willie... Les amours d'asphalte nous replonge concrètement dans l'esprit des boîtes à chanson urbaines. Le temps d'une rencontre devant un Coke glacé, cette ballade charmante et jazzée emprunte son rythme à celui de la ville et prépare l'auditeur à la conclusion de l'album. Je vous salue Marie dévoile en effet un chansonnier plus intimiste, spirituel même, sans pour autant être prêt à retourner sur les bancs d'églises. Encore une fois, tout est dans l'actualisation des évangiles et de sa prière...

Je vous salue Marie
C'est pas pour se foutre de sa gueule, mais Jésus passera pour un hippie c'est garanti [...]
Peace and love Marie, ainsi se termine ma prière en espérant que vous reviendrez.

Ainsi prend fin ce fascinant Un de plus, et j'espère sincèrement que cet article jetera un nouveau regard sur ce singulier chansonnier qu'est Marc Lebel. Je tiens à le remercier chaleureusement pour sa généreuse participation à la réalisation de ce tour de chant. Visitez son blogue: vous y retrouverez tous ses textes, ses chansons scouts et ses haïkus. J'en profite aussi pour saluer l'ami Stéphane qui m'avait initié à ce rarissime album il y a déjà quelques années. Bonne écoute; laissez votre commentaire en téléchargeant.




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Marc Lebel - Un de plus (Escales; 1971)