lundi, décembre 28, 2009







Artistes Variés - Coca-Cola Jingles (1965; Acétate Marko; Audiodisc 4546)

Le lait de poule au réveillon, c'est dépassé. Cette année, trinquons du plus effervescent des nectars marrons: le Coca-Cola. On demeure pourtant dans l'esprit du Temps des Fêtes lorsqu'on considère que cette marque légendaire a toujours su se marchander efficacement, allant même jusqu'à populariser l'image commercialement viable du Père Noël que nous connaissons tous aujourd'hui. En fidélisant ses consommateurs à une image, voire une couleur, la populaire boisson eut tôt fait de pétiller sur les ondes radiophoniques. En s'acoquinant des étiquettes de disques internationales, ils recrutèrent un nombre impressionnant de groupes pop et d'artistes du palmarès pour les inviter à reprendre le jingle officiel du cola, Things go better with Coca-Cola. Les versions sont aussi inventives que stylistiquement diverses, question de mieux s'identifier à la jeune génération, des teenyboppers aux hippies assumés. Toujours autour d'un même refrain, des groupes pour la plupart UK & US tels les Bee Gees, The Who, The Left Banke et autres Vanilla Fudge relevèrent la barre en signant des arrangements colorés et plutôt raffinés. L'ami-blogueur Claude du site L'Homme Scalp vous propose d'ailleurs un article à propos d'une compilation de ces meilleures bande-annonces radios des années 60. Du lot, j'en ai retenu quelques-uns, tous tirés cette fois-ci des compilations du groupe de discussion U-Space, Psychedelic Promos & Radio Spots Vol. 1-9.



Petite rivière de cola deviendra grand fleuve... En conquérant le marché international, la compagnie cibla rapidement ses campagnes localement. La vague yéyé alors déferlante au Québec de 1965 eut tôt fait d'attirer l'attention du géant qui flairait une bonne affaire dans le marché francophone. L'association fit même la manchette de l'édition du 7 août 1965 du magazine Billboard. On y apprend entre autres que le groupe montréalais J.B. & the Playboys avait été approché, tout comme des habitués du palmarès de la scène francophone: en plus de Pétula Clark (Vogue), César et les Romains (Choc), Les Baronets (Jeunesse Franco) et Les Cailloux (Capitol) sont cités. Avoisinant une photo culte de Sam the Sham & the Pharaos, le tout ne manque pas de piquer la curiosité!

On souligne que ces indicatifs pourraient être utilisés au Québec comme aux États-Unis lorsque les artistes effectueront une percée sur les palmarès américains. Un rêve que convoitaient toujours certains, mais qui ne se concrétisera malheureusement pas (ok, presque avec Les Jérolas et leur double performance au Ed Sullivan Show).


Pour diversifier leur palette sonore et assurer une diffusion massive de leur nouvelle campagne, on recruta simultanément des artistes de différentes étiquettes comme Jenny Rock (Select), le groupe folk Les Quatre-Vingts (Columbia), Robert De Montigny (Trans-Canada) ainsi que Margo Lefebvre (Trans-Canada). Reprenant la formule des indicatifs anglophones, Coca-Cola opta pour un monstre de la chanson française et demanda à ses nouveaux porte-parole d'imaginer leur propre version de Y'a d'la joie de Charles Trenet. Ce titre deviendrait ainsi -tant dans la presse écrite que radiophonique- le nouveau et pétillant slogan publicitaire du breuvage. Avec Coca-Cola, y'a d'la joie... Fallait y penser.



Même Serge Laprade a enregistré sa version du jingle en 1967.

Cette acétate réalisée par les Studios Marko Inc. regroupe la plupart des nom cités plus haut, sur une seule face (l'autre étant vierge). Comme la campagne se renouvelait sans cesse, la diffusion de ces jingles de 60 secondes était purement immédiate et prévisiblement éphémère. Le choix du format « acétate » pour les campagnes radiophoniques pourrait partiellement s'expliquer par des frais de conception minimes et délibérément limités couplés de la faible durée de vie du médium. C'est qu'elles sont fragiles ces acétates, n'offrant qu'une mince couche de vinyl sur un disque d'aluminium. Une fine couche qui dégénère à chaque écoute... Le format était aussi largement prévilégié avant l'arrivée du ruban magnétique. Des EP (ou super-45 tours) furent aussi produits, où deux artistes y proposaient quatre versions différentes du même jingle. J'ai pu répertorier un EP jumelant Les Jérolas aux Quatre-Vingts; qui sait, peut-être en existe-t'il plusieurs autres?

Le tout démarre rapidement avec deux dynamiques versions folks, gracieuseté des Cailloux et des Quatre-Vingts. Alors que ces derniers demeurent plutôt sages, la bande à Jean Fortier fait fi de la bière d'épinette et garde une cadence éffreinée pour une histoire de braconnier qui achète les garde-chasse avec quelques bouteilles de Coca-Cola. Cocasse. On sort ensuite des boîtes à chanson pour se réfugier en boîtes de nuit sur un jerk de Jenny Rock. Entre quelques cuivres, la voix éraillée de la pétillante chanteuse à de quoi séduire sur cette version calquant du même coup sa propre reprise de Walking the dog de Rufus Thomas. Parlant de séduction, c'est Robert De Montigny qui tonifiera ensuite votre cola d'une touche de rhum par ses airs joyeusement kitsch de samba. Coca Gogo, on crie Bravo! quand on boit un Coca-Cola.



Margo Lefebvre bénéficia d'arrangements plus élaborés pour son jingle, me portant à croire qu'il fut probablement enregistré pendant les sessions pour son album Gala 65. L'orchestration est vitaminée à la manière d'un tube du Swinging London et nous fait oublier les lentes ballades qui ont pourtant fait la marque de la chanteuse. Pour leur part, César et les Romains demeurent fidèles au yéyé sur une version énergique et efficace, mais sans grandes surprises. La frivolité de la mélodie de Trenet sied parfaitement au style des Jérolas, pimenté de quelques cuivres. Leur aventure carbonisée ne s'arrêterait pas là, le duo tournant son dos quelques années plus tard à Coca-Cola pour endosser la bière Laurentide, mais aussi... Pepsi. L'Acétate prend fin sur une charmante version de 90 secondes chantée par la francophile Pétula Clark, à l'accent toujours aussi craquant. Un sourire, un Coke, oh les jeunes, quelle merveille; été comme hiver, le Coke est sans pareil.

Rien de tel pour terminer l'année en beauté que cette rare trouvaille parmi les plus effervescente! Je tiens à remercier chaleureusement l'ami Otis pour la numérisation de cette délicate acétate. Laissez un commentaire en téléchargeant.


Téléchargez cette acétate / Download this acetate : Artistes Variés - Coca-Cola Jingles (1965; acétate Marko)

lundi, novembre 16, 2009


La Famille Casgrain -
Le rêve de Noé / Aller Retour et Souvenir

(décembre 1969; Barclay B-60102)

&

Abandon #14 / Peel Ste-Catherine Jeudi Soir 9 Heures

(avril 1970; Barclay B-60119)


 La parution du plus récent ouvrage de Robert Thérien, Beau Dommage Tellement on s'aimait , m'a incité à vous initer aux sonorités d'un obscure quintette souvent mentionné, mais rarement analysé: La Famille Casgrain. Vous devinez déjà le lien qui les unit au célèbre groupe des années 70, n'est-ce pas... Les prochaines données biographiques sont d'ailleurs tirées de l'ouvrage de Thérien. Pour une analyse des autres projets parallèles à la naissance de Beau Dommage, visitez Vente de Garage pour un survol du groupe Morphus (Réal Desrosiers, Serge Fiori, Andy Harvey, Frank Dodman) ou le site de Claude Sirois, ancien membre de Équipe 79.

Le groupe prend forme à la toute fin des années 60 afin d'accentuer les compositions de Jean-Guy Durocher (guitare) et Pierre Voyer (chant). Sous l'impulsion de leur premier batteur-devenu-producteur, Louis Parizeau (Les Sinners, Révolution Française), on eut tôt fait de recruter Michel Hinton aux claviers, Pierre Bertrand à la basse, Michel Rivard à la guitare et Guy Berthiaume à la batterie. C'est bien connu, ces trois étudiants et futurs membres de Beau Dommage (Bertrand, Hinton,& Rivard) se feraient les dents sur scène à bord de la troupe théâtrale uqamienne La Quenouille Bleue avant de fonder leur propre groupe. C'est toutefois au sein de l'éphémère Famille Casgrain que le trio se réunierait pour la première fois; nous sommes au tournant de 1969-1970.


J'ai souvent avancé que c'est précisément à cette période que semble jaillir les premiers maillons d'une pop résolument moderne pour le Québec. Les influences musicales internationales fusent depuis Expo 67 et c'est sur ses dernières effluves qu'un son, une identité pop distincte émerge chez-nous. La Famille Casgrain fait partie de cette mouvance, même si son retentissement s'est quelque peu perdu entre la fin de l'âge d'or des groupes et les premiers élans folk-rock qui domineraient la décennie suivante... mais pas encore. Le groupe n'est pas un des premiers à complexifier des compositions folks légèrement surréalistes (Les Alexandrins), mais ainsi coincé entre deux décennies, on ne peut s'empêcher d'y déceler un avant-goût de la vague progressive à venir. Une pop marginale pas pîquée des vers, croyez-moi... mais qui ne dut pas dépasser les limites des cafés de l'UQAM.



Un premier simple est gravé en décembre 1969 *. En face A, Le Rêve de Noé avec sa prose animalière s'élabore loussement sur un air accoustique de bossa-nova juste assez aérien avant de crinquer la sauce à coups de marracas et de choeurs vaporeux. Écoutez ce segment et visualisez Bertrand à la basse!
Si la voix de Voyer laisse peu de place à la subtilité, elle ne tombe jamais dans le sirupeux. Au revers de ce simple, la surprise réside dans l'intriguante et dynamique Aller, Retour et Souvenir où le jeu de piano de Hinton prend l'avant-scène et dramatise habilement une mélodie à la rythmique complexe. Pop-prog!


 Abandon #14, la face A de leur second et dernier simple publié 4 mois plus tard, demeure le titre le plus ambitieux du groupe. Le jeu de Bertrand est fluide et inspiré alors que Hinton couche son solo de clavichord cousu de fil d'or sur des choeurs toujours aussi éthérés. Voyer y dépeint une étrange et tumultueuse rencontre:

La lune a peint le visage d'un ange en se glissant sur toi.

Tes souliers de papiers ne valent plus les portes de la nuit.

J'avais beau te chercher pour t'aimer maintenant...

La nuit éteint ce qui t'attriste, profitons du temps qu'il nous restera.


La montréalaise Peel Ste-Catherine Jeudi Soir 9 Heures continue d'ailleurs sur un thème similaire, celui d'une rencontre qui n'aura jamais lieu l'angle de ces rues... Cette face B offre une production plus dépouillée, démarant sur une introduction captivante qui cède plus loin la place à un pont instrumental légèrement jazzé. On ressent un léger cafouillage tout au long alors que la mélodie tarde à créer un quelconque impact et nous laisse finalement sur notre faim. N'empêche, en pleine Crise d'Octobre, l'histoire d'amour entre une anglophone et un francophone a de quoi étonner et séduire.

Vous avez fait partie de La Famille Casgrain ou avez assisté à une des rares prestations du groupe? Écrivez-nous! Nous ajouterons vos souvenirs et anecdotes à cet article.
Laissez un commentaire en téléchargeant.

* Mes exemplaires de ces deux 45 tours portent tous le sceau «Promotionnel». Quelqu'un sait si ces simples eurent une diffusion en dehors des radios universitaires?


Before forming 70's Quebec's supergroup Beau Dommage, bassist Pierre Bertrand, guitarist Michel Rivard and fellow pianist Michel Hinton were part of the short-lived band La Famille Casgrain. The quintet only recoded two rare singles on Barclay in december 1969 and april 1970, both produced by ex-Sinners/Revolution Française drummer Louis Parizeau. These pop numbers have slightly complex rythmic patterns and sometimes-surrealistic lyrics. Soft-psych fans, take notice! Leave a comment as you listen!


dimanche, novembre 15, 2009


Paul Morin, leader du groupe Guillotine nous écrit!
Nouvelles Informations

Nous n'avions pas manqué de vous initer au rock n' soul pesant de Guillotine et de sa sulfureuse frontlady, la chanteuse Carole Breval lors de notre récent podcast Les Filles d'Aujourd'hui. Paul Morin, leader du groupe, a tendu l'oreille et nous a contacté pour annoncer la mise en ligne de son propre site. Vous y retrouverez une foule de photos et anecdotes du parcours hors du commun pour ce groupe de Montréal. De rares documents promotionnels, découpures de presse et photographies personnelles de tous les groupes auxquels participa Morin en font un détour obligatoire. Naviguez dans la section «Artistes» pour vous en convaincre; toutes les photos du présent article sont d'ailleurs tirées de son site. M. Morin a gentiment voulu répondre à quelques questions.


S. Le groupe Guillotine a enregistré son album en Grande-Bretagne et publié ce dernier sur un label américain. Est-ce que le groupe a aussi eu une carrière florissante au Québec? Comment un tel parcours international s'est imposé au groupe pour son premier et unique album?

P.M. Nous avons donné plusieurs spectacles au Québec! Les artistes de l'industrie en ces temps-là étaient tous là pour nous voir performer. J'en garde de très beaux souvenirs. Tout a débuté par des spectacles que je faisais à dans l'état de New-York (à Messina entre autres) et autour de Boston, à River Beach. Ça a vite fait le tour des agences et Fred Petty est venu de Boston pour nous voir jouer à Montréal. Il est tombé en amour avec le band et Carol et ça a débuté ainsi, par une tournée aux États-Unis. Quand je suis tombé malade, notre gérante à New York venait de nous signer pour une tournée avec Joe Cocker et Black Sabbath... Mais pour moi ce fut la fin: j'étais trop malade et le band n'a pas voulu y aller sans moi. Mais aujourd'hui, je suis en pleine forme!

Guillotine en route vers les Olympic Sound Studios de Barnes, Angleterre (mai-juin 1971).

S. Parlez-moi de vos enregistrements en Angleterre. Ça doit être toute une expérience pour un jeune musicien qui propose son premier long jeu! Quelle étaient vos principales influences, d'ici comme d'ailleurs?

P.M. Ce que je vais te raconter n'a pas trop été ébruité depuis... À l'époque, j'apprends par notre gérante Mme Lee Apostoleris, une amie intime de Frank Sinatra, que nous allions nous réfugier à Magog pendant trois mois avec une personne qui avait travaillé avec le groupe Chicago pour leur chanson Make me smile. C'était Rick Kunis, mais j'ai jamais vérifié; à mon âge, je croyais tout! On a effectivement travaillé pour l'album à Magog mais soudainement on était en route pour l'Angleterre...

La meilleure technologie pour enregistrer des brass, c'était là. La première journée, avant d'entrer en studio, on m'annonce que la pochette sera réalisée par Bob Cato, celui qui avait fait une des pochettes de Blood, Sweat & Tears! Il y avait toujours des choses comme ça, pour nous énerver ou nous stimuler: il y avait toujours de la pression. Le deuxième jour, on nous dit que les Stones avaient enregistré dans le même studio et qu'un ami du groupe, un Jamaicain (NDLR; un musicien de Goat Head Soup probablement), viendrait nous voir enregistrer. Nous étions en studio en même temps que les groupes Funkadelic, Ten Wheels Drive, The Guess Who, Ten Years After et un tas d'autres...

Tu as entendu le long jeu, non? Je crois que nous étions à la hauteur! J'avais de très bons musiciens. C'était une expérience énorme que de se ramasser si vite dans la cour des grands. Les groupes Chicago ainsi que Blood, Sweat & Tears ont été des influences marquantes pour moi à l'époque. C'étaient les deux meilleurs groupes avec des cuivres et notre son a souvent été comparé au leur.


Market Place, 1970.
Paul Morin (avant-plan droit, guitare), Robert Turmel (basse), Pierre Girouard (batterie), Michel Fafard (trombone), François Pétrari (trompette), Francis Turner (chant), Joe Trevissono (trompette), Jean Morin (saxophone) & Paul Dalonzo (trombone).

S.
Parlez-moi de votre 45 pour Market Place, sur Polydor.
Ce groupe précédait la fondation de Guillotine?

P.M. Ben Kaye avait entendu parlé de notre groupe, alors voué à être populaire. Il nous a rapidement signé et fait enregistrer un simple pour Polydor Records. Après des performances télévisées à Toute la ville en parle et Like Young (Ontario), Carole Breval remplaça notre chanteuse Francis Turner et le groupe se renomma les Soul Caravan pour des tournées au Québec ainsi qu'aux États-Unis. Nous nous sommes ensuite rebaptisé officiellement Guillotine.

Carol Breval

S. Avez-vous suivi le parcours de vos collègues après la dissolution de Guillotine? À part Pierre Nadeau (bien connu), que sont-ils devenus?

P.M. Lorsque je suis tombé malade, les gars ont continué à travailler séparément. Robert Turmel (bassiste) est parti avec Claude Dubois. Mon frère, Jean Morin, a rejoint le musicien Mike Zarra. Mes brass furent intégrés dans un orchestre symphonique dans le nord de Montréal. Et Carol, elle chante toujours! Je me suis personnellement refait une santé et le goût de la musique m'est revenu. J'ai écrit récemment pour Tex Lecor (2004) et Yan David (2006) et travaille présentement sur de nouvelles compostions en compagnie de la chanteuse Charlyne.


Le duo Peaches & Herb, Pierre Perpall (à droite) & Carole Breval (gauche).

À l'image de cette photo ci-haut, tout ça ne manque pas de soul ! Morin propose même l'unique album de Guillotine pour l'écoute sur le site. Généreux. Il en est de même pour le simple de Market Place. On nous promet des extraits vidéos pour bientôt alors attendons la suite! Parlez-moi de ça, des artistes qui prennent en main leur biographie sur le Web en ouvrant leur coffre aux trésors!

dimanche, novembre 01, 2009

Problème Technique?

Plusieurs d'entre vous m'ont confié avoir de la difficulté à lire les récents articles, mystérieusement publiés «en lettres bleutées sur fond brun». Je vous rassure, je ne suis pas daltonien et ce n'était pas une louche décision esthétique de ma part. Je n'avais pas été témoin de ce problème et croyais que tout était lisible, en noir sur fond pâle. Il est possible qu'il y ait une incompatibilité entre Blogger et certains fureteurs.

Comme je souhaitais résoudre rapidement cet imbroglio technologique, j'ai opté temporairement pour un nouveau look qui se corrigera progressivement au cours de l'automne. Sobre, il cède la place aux textes et facilitera j'en suis persuadé votre lecture. Dites-moi ce que vous en pensez.



Technical Difficulties?

Some of you wrote about having some difficulties when reading my latest posts. It seems some of my texts were published with light blue fonts over a brown background... Not the easiest read! Must be an incompatibility between Blogger and some browsers. Anyhow, I've chosen to test a new look for the next couple of weeks. Hope y'all like it!

jeudi, octobre 29, 2009

Raôul Duguay, 1969.

Panorama sur la musique Underground Québécoise -
Quelques Conclusions


Je ne suis pas particulièrement friand des listes, des Top 10. Depuis 1999, avouez que nous avons été inondés d'essais similaires dans la plupart des magazines musicaux, chacun tentant de définir voire réécrire l'évolution des courants artistiques du dernier siècle. Qu'on ne critique pas alors les récentes et effervescentes récupérations des genres par de jeunes talents, on nous a gavé à la nostalgie depuis une décennie! On les craint comme on les dévore ces listes; on apréhende ses conclusions en se préparant à les discréditer. Qui est au numéro 1? Ils ont osé omettre tel disque, impardonnable! Ils ont inclu un titre méconnu en espérant m'impressionner, navrant! On a tous eu ces moments. Comme si un mode d'expression aussi sensible devait se quantifier entre nos deux oreilles... Après tout, avec ces listes à la manière de ce premier panorama de l'underground, on sait d'avance qu'elles ne seront jamais définitives... enfin, tant qu'on n'y aura préalablement mis son propre grain de sel. ; )

Quelques mesures d'une performance d'Halloween 1969 (Manifeste de l'Infonie ).

En guise de conclusion notre exercice, j'ai longuement considéré d'analyser le premier disque de L'infonie, Volume 3 (aka André Perry présente... ; Polydor 542.507; 1969). Qui ne serait pas d'accord avec cet ajout? Bon, je vous l'accorde, le groupe a eu dès le départ sa franche part médiatique. Dès leurs premières performances à Terre des Homme en 1967, ils avaient déjà tout l'attirail pour vous faire freaker et vous enchanter. Pour un groupe d'une trentetroizaine d'artistes multidisciplinaires, leur démarche orchestrale était résolument contemporaine, leurs costumes saillants, leurs cheveux longs et leur ivresse poétique des plus contagieuses.



Raôul Duguay (chant, trompette) résuma efficacement leurs aspirations:
créer un monde parallèle à celui de la culture commerciale (...) plonger dans l'universalité des formes d'expression, les fusionner et les revitaliser dans un happening de folie créatrice. Et comme toutt est dans toutt, on sent que c'est sous leur impulsion que l'underground put émerger, rejoindre et être absorbé par la culture populaire. Freak-out cacophonique, exotica débridée, poésie phonétique, groove électronique (J'ai perdu 15 cents dans le nez froid d'un ange bronzé ), touchants et cabotins passages orchestraux (sublime reprise de She's Leaving Home des Beatles), bossa nova «corrigée» (Desafinado ) ainsi qu'un improbable et incroyable tube (Viens danser le Ok Là, aussi un simple chez Polydor ): pour le fun, pour emmerder les straights et pour aller au bouttt de touttt.



Malgré ces preuves éloquentes de leur talent sur disque, c'est sur scène que l'expérience totale proposée par le groupe trouve sa manifestation la plus complète. Lorsque j'ai eu la chance d'assister à la performance de Walter Boudreault, Raôul Duguay, Guy Thouin (aussi un ex-Quatuor de Jazz Libre) et compagnie en février dernier, j'ai vite compris ce qui catalysait les performances de l'Infonie: la synergie qui habitait autant les performeurs que leur public, le plus souvent impliqué activement dans la performance comme telle, était au boutt du boutt. Sans vouloir mystifier l'affaire, je n'avais jamais ressentie une telle vibration. C'était crissement palpable! Devant le charisme des Infonistes, on a inévitablement envie de participer à la folie collective qu'ils plebiscitent, tout souriant. La prose phonétique et jovialiste de Duguay aide à transcender la poésie, même chez les esprits les plus rangés. On a envie de se faire aller le gorgotton comme lui. Entre rigueur et improvisations, une forte impression de bonheur découle de ce happening sonore imprévisible. Pourtant sceptique, votre auteur avait même perçu une dimension thérapeutique suite à leur performance de Volume 33. Hypocondriaques face à la nuée pandémique, prenez-note! Confortablement niché, L'Infonie rallie et secoue encore aujourd'hui les puristes des genres, de l'amateur de musique concrète au rockeur moribond.





Afin de parfaire vos connaissances Infôniqaques, je vous invite à lire l'excellente bio que propose le site Québec Info Musique ou à retracer le manifeste du groupe, aujourd'hui retitré Le boutt de toutt (toujours disponible). Notez aussi que le label Mucho Gusto a pris grands soin de rééditer Volume 3 & Volume 333 avec quelques titres inédits. Indispensables.

Un album essentiel... mais on ne pouvait s'arrêter à ce seul titre pour conclure notre exercice. Ainsi, au gré de nos écoutes répétées, plusieurs artistes furent inévitablement écartés de ce premier panorama. Cerner 10 albums sur une quarantaine d'années de productions underground, vous en conviendrez, n'était déjà pas chose facile; nous avons du prioriser certains titres. Il n'est pas exclu qu'ils soient ultérieurement analysés sur ce blog. Parmi les albums les plus pertinents, retenons:


Ouba, Reels Psychadéliques I & II (1968): Ces jams de la série Freak-Out Total initiée par Tony Roman méritaient d'être considérés. Audiblement le résultat de séances tardives et enfumées, ces rares productions étaient inévitablement vouées à être sans lendemain. Roman n'allouerait que très peu de promotion pour ces séances avant-gardistes, mais force est d'admettre qu'elles sont intrinsèques à la personnalité du jeune réalisateur, tiraillé entre la pop commerciale et la quête d'un son moderne pour un Québec en ébulition. Toutefois, après une écoute difficile et parfois lassante, l'auditeur averti concluera comme nous que leur impact demeure négligeable. Un collectionneur complétiste pourrait devenir un mélomane légèrement déçu... Mais, même si j'en saisi toute l'ironie, qu'est-ce que je les recherche ceux-là! Ajoutez à cela les plus fignolés Maledictus Sound / Expérience 9 et vous gagnez le gros lot! C'est d'même avec Tony...

Boule de Son - Just'en passant (1975): Production minimale, diffusion quasi inexistante pour ce charmant groupe de folk rural aux légers accents rock. Le genre de trésor qui ne quitterait pas le rang où il fut enregistré, produit et emballé dans une pochette générique. Seul leur batteur referait surface dans le non-moins méconnu groupe progressif Opus 5. Une belle rareté (l'album vous coutera 300$ et plus) définitivement dans les cordes de votre auteur, mais rien de vraiment fracassant. Faites-vous une idée de l'album ici.

Aut'Chose - Prends une chance avec moé; Une nuit comme une autre; Le cauchemard américain (1974-1976): Un flot déferlant de riff hardrock et la personnalité scénique hyperbolée de Lucien Francoeur imagent déjà à eux seuls l'essence du rock Québécois. Offenbach avait déjà sa niche que Aut'Chose arrivait avec plus de couilles, plus de poils, un claviériste débridé et une prose morrisonesque électrifiée. Leur retentissement fut immédiat, mais leur aura s'est progressivement obscurci après 1977, obnubilé par les extravagences discutables de Francoeur et par et une réédition de leur catalogue complet qui se fait toujours, et toujours attendre... Pas underground, mais trop peu souvent cités!



Les Sinners - Vox Populi (1968): Je considérais cet album comme underground dans la courte et florissante carrière d'un groupe prêt à se métamorphoser partiellement en Révolution Française. L'arrivée d'Arthur Cossette coincidait avec le groupe qui affichait une approche parmi les plus cutting-edge à l'époque, proche des Who sur Sell Out. Étrangement, l'album semble être perçu comme trop moderne, déglingué et touffu pour la jeunesse; elle court toujours les happenings du groupe, mais les ventes de Vox Populi déçoivent. Une version anglophone fut développée pour en améliorer la diffusion au sud du pays, mais suite au départ de François Guy, elle accumulerait la poussière jusqu'en... 1992. Malgré la participation en chansons et celle de deux membres au film de l'ONF Kid Sentiment en 1967, aucun simple ne réussit à se démarquer. Une véritable perte, cette production moderne de Pierre Nolès avait tant à offrir. Je vous l'accorde, le groupe était archi-connu, mais cet album-là est passé dans le beurre il y a 41 ans...




Les Champignons - Première Capsule (1972): Un groupe prog-psychédélique qui ne vendrait son album autoproduit qu'à ses rares specacles... voilà bien un projet hippie qui s'annonçait underground dès le départ. On a bien droit à quelques moments lysergiques, mais dans le genre, je leur ai toujours préféré le groupe Sloche et comme on trempe déjà dans les moeurs progressives du Québec des années 70, ce n'est pas tout à fait underground. Rare, certainement, mais loin d'être essentiel.

Moonstone - Moonstone (1972): Un projet anglophone sur étiquette Kot'ai (Infonie), incluant Tony Roman à la console sur quelques titres. Leur acid-folk nordique se démarque de celui de la scène alors florissante au Québec, plus près de celui de ses compères US (Alzo, Jan & Lorraine) ou UK (Comus, Trader Horne). Ils jouaient loussement -peut-être trop pour certains- et semblaient posséder ce je-ne-sais-quoi dans leurs chants qui aurait dû leur permettre de percer, du moins sur la scène montréalaise. Serait-ce le simple écart linguistique ou la pauvre diffusion qui nous aurait fait jusqu'à ce jour négliger cet album?




Trop Féross - Résürrection (1986): Le groupe Satan Jokers (France) crachait déjà son métal hurlant en français depuis le début des années 80, mais ces Québécois se démarquaient par la présence vampirique de sa fascinante et blonde chanteuse. Pour l'analyse complète, je cèderai la place aux fins connaisseurs de métal qui voudront bien se prêter au jeu. J'ignore s'il existe une réédition, mais entre temps, faites-vous une idée de l'album en le téléchargeant sur le blog Cosmic Hearse. Heavy, très... et bon!

Brégent - Poussière des regrets (1972): Je suis persuadé qu'il devait y figurer, mais comme je ne l'ai jamais entendu, j'ai dû passer... Quelqu'un en a un exemplaire à me vendre ou à partager (mp3)? Écrivez-nous.



Franck Dervieux - Dimension M (1972): Tout comme pour The Medium (1968), cet album mérite d'être cité pour avoir initié les mouvances progressives du rock Québécois. N'étant pas un spécialiste du genre, j'ai parfois du mal à bien cerner les influences que Dervieux absorbe pour réaliser son chant du cygne. Toutefois, je ne peux que m'incliner devant ces ténébreux titres instrumentaux menés d'une main de maître par Dervieux (claviers) et le groupe Contraction. Avant-gardistes et hautement influents, ils montraient alors à tant de groupes naissants la voie à suivre. La mort précipitée de Dervieux quelques semaines après le lancement de l'album en scellerait justement le destin, mais la vague qu'il avait généré était déjà déferlante. Underground, oui et non.

Péloquin Sauvageau: - Laissez-nous vous embrasser là où vous avez mal (1972): Je vous l'ai écrit, je n'aime pas les Top 10, trop souvent réducteurs et prévisibles. Pour m'en démarquer, je vous avouerai avoir intentionnellement écarté quelques titres trop évidents. Péloquin-Sauvageau étaient du lot. Je suis vendu à cet album, Monsieur l'Indien me secoue toujours autant et demeure un classique hors-norme. Que voulez-vous, nous avions votre bonheur à coeur et cherchions à vous proposer quelques surprises...

Normand Gélinas -
Le chat de l'Arc-en-ciel (1971): Une révélation lysergique inspire à Gélinas un conte psychédélique à la structure des plus slaques. Un projet marginal comme on les aime. Denis Pantis prit sa jeune star en pitié et lui occtroya un pressage limité de 500 copies le temps qu'il le sorte de sa tête. Rapidement enregistré puis oublié, ce conte trouva néanmoins écho chez son auteur qui, encore aujourd'hui, rédige des histoires pour les tout-petits.


Comment? Pas de précurseurs du new wave, du funk, du punk, du métal ou du hip-hop?!! Dites-vous que c'est ici que vous intervenez: proposez-nous un album que vous jugez underground et qui mérite d'être publié en annexe à ce panorama. Je sais que vous en avez déjà un en tête alors n'hésitez pas à justifier votre choix en quelques phrases. Vous l'aurez probalement remarqué, nous n'avons pu survoler une période de la scène Québécoise parmi ses plus fastes, 1972-1981. Vous saurez où creuser...

J'en profite pour remercier chaudement mon ami Mathieu Arsenault du blog Doktorak Go! qui a su combler les décennies plus récentes. Ses textes témoignaient d'une singulière, intense et passionnante analyse musicale. Son blog propose une farandole de miscellanées hyper-recherchées et ô-combien d'actualité: à lire!

mardi, septembre 29, 2009

Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présentent un survol de la musique underground québécoise en 10 albums.



Menace Ruine - The die is cast (Alien8Recordings ; 2009)


Plusieurs auront peut-être été étonnés que notre survol de la musique underground québécoise ne comporte aucun album métal. Nous nous sommes nous-mêmes retrouvés un peu prisonniers de la subjectivité de notre sélection et on s'est trouvés un peu poches de ne pas avoir su faire une place à un genre qui a sans aucune hésitation eu son importance ici depuis 30 ans. On n'a qu'à penser à Voivod, dont le croisement entre speed, trash métal et métal progressif a eu une influence certaine sur Metallica, ce qui pour cette même raison les exclut d'office d'une liste comme la nôtre qui cherche à retrouver des albums oubliés. On aurait pu penser aussi à B.A.R.F., un des groupes les plus importants avec Grim Skunk et Groovy Aardvark pour la fondation au début des année 90 de la "scène locale" qui deviendrait quelques années plus tard le terreau le plus fertile en musique rock et urbaine. Mais B.A.R.F., ce n'était pas encore ça.
C'est en cherchant un peu que nous sommes tombés sur un groupe de Montréal qui, bien qu'il ait reçu dernièrement l'honneur d'un article dans la prestigieuse revue britannique
The Wire (mars 2009), mérite amplement à ce moment-ci et à plus d'un égard sa place dans ce survol de l'underground.

Paru en 2008, The Die is Cast de Menace Ruine est un des meilleurs représentants québécois du courant
black métal ambiant, une sorte de version sourde et équarrie de tout ce que le métal pouvait avoir d'acéré sans pourtant perdre l'ambiance sombre, dépressive et torturée qui l'accompagne depuis ses tout débuts. Cette musique fait l'effet d'un métal fantômatique, d'une scène vide que les guitares et la batterie auraient désertés pour ne laisser que la réverbération de leur son sur les murs. On se trouve donc ici devant une sorte de musique acousmatique savante qui aurait jalousement préservé sa passion adolescente pour le sublime grégaire propre au métal.

Résolument plus à sa place dans une galerie d'art que dans un amphithéâtre bondé de métalleux, Menace Ruine s'éloigne pour cette raison de l'underground et boucle en quelque sorte la boucle de notre survol. On pourrait difficilement inscrire dans cette filiation chambranlante qu'est l'undeground, il est plus à l'aise du côté de cette scène résolument plus institutionnalisée que représente Alien8 Recordings, qui publie des stars internationales du noise et de l'expérimental pop comme Merzbau, les George Leningrad, Acid Mothers Temple. Mais c'est aussi pour cette raison que The Die is Cast est intéressant ici. Il marque la fin de notre parcours précisément parce qu'il construit une machine à intégrer les éléments de l'underground pour en faire un objet institutionnel. Autant le cérémoniel métal que la préciosité gothique trouvent ici leur chemin vers les galeries d'art d'une manière qui n'a plus rien de kitsch ou de parodique. Ce son s'adresse à ces jeunes professionnels chic de trente ans et plus qui ont définitivement rangé leurs t-shirts de
Celtic Frost ou leurs capes de vampire sans pour autant renier cette époque de leur jeunesse. La mélodie elle-même possède quelque chose de résolument mélancolique. Elle semble provenir de très loin, de derrière ce mur de textures distorsionnées qui n'est pas sans rappeler la synthèse surchargée de textures des Biberons bâtis.


Mais la richesse de cette mélancolie justifie-t-elle pour autant une place dans notre survol de l'underground québécois? N'est-elle que son chant du cygne? Lorsqu'on tend l'oreille, elle semble pourtant dire un peu plus. Car on trouve aussi dans cette mélancolie un semblant de nostalgie pour la solennité religieuse, pour le sublime chrétien. Car il y a bien du sublime chez Menace Ruine, mais c'est un sublime plus historiquement dense que celui de Godspeed You! Black Emperor par exemple, qui en son temps apparaissait être tout entier tourné vers une forme lyrique pure et sans contenu. Ainsi, alors que Godspeed You! était un projet pratiquement sans parole, le chant de Menace Ruine possède des accents nettement choraux qui puisent dans le patrimoine religieux occidental. Il n'est peut-être pas anodin à ce titre que le groupe émerge à une époque où, autant par le débat sur les accomodements raisonnables que par celui sur le cours d'éthique et culture religieuse, le questionnement sur le patrimoine religieux est à son paroxysme et où, pourrait-on supposer, le refoulement du catholicisme se fait sentir avec le plus d'insistance. Le nom même de Menace Ruine pourrait évoquer ce refoulement et l'inquiétante étrangeté de ce qui persiste malgré sa déchéance, de ce qui se maintient debout malgré son écroulement. Si nous vivons bien dans les limbes de notre propre histoire, Menace Ruine est la trame sonore de notre errance identitaire.


Et une dernière chose: quand le gros Boris m'intimidait quand il chantait du death metal dans les douches de la polyvalente Paul-Hubert de Rimouski en 1993, j'aurais ri dans la face du visiteur du futur qui m'aurait annoncé qu'un jour le metal aurait son pendant artistique raffiné. Et si on m'avait dit au secondaire que ce mouvement du métal artistique, qui est mondial, s'appellerait aussi "Doom Metal", j'aurais dit "comme le jeu d'ordinateur?"; si on m'avait dit que ça s'appelerait aussi "Drone Metal", j'aurais pensé à "droïde comme dans la guerre des étoiles", parce que j'étais vraiment nerd dans ce temps-là.



On peut écouter The Die is Cast de Menace Ruine à partir de leur Myspace, mais encore mieux, Alien8 Recordings offre le téléchargement payant de l'album. Pas de fournisseurs, ça va direct dans leurs poches!


Auteur et critique littéraire, Mathieu Arsenault s'occupe du blog Doctorak, Go! depuis novembre 2008. Il y tient des réflexions sur les phénomène culturels actuels comme le design, les jeux vidéo, la cyberculture et sur la manière dont ils peuvent être pensés à travers la culture littéraire.


mercredi, septembre 23, 2009

Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présentent un survol de la musique underground québécoise en 10 albums.



Khan Gourou - Il est venu le temps des claques sa yeule
(indépendant; 1999)


Jamais un projet musical n'aura été aussi vindicatif et aussi consciemment contre-culturel. Le projet de Khan Gourou est ni plus ni moins d'invectiver, de dénoncer et de discréditer dans son entièreté l'industrie culturelle québécoise, à commencer par la musique elle-même.

Du point de vue musical, ce projet de destruction de l'industrie culturelle musicale est sans compromis. Il s'ancre musicalement dans le terreau irrécupérable ici de la musique techno, le hardcore le plus brut. Il ne s'agit pas ici d'une posture ironique sensée ridiculiser le showbusiness pour mieux l'investir, comme l'a fait par exemple Numéro# avec son premier album. Le hardcore de Khan Gourou est à la limite du supportable. Le rythme dépasse souvent les 220 bpm, une limite où la musique n'est plus dansable. Mais ce rythme exagérément speedé permet au phrasé de DJ Mutante de se libérer de toute contrainte de rythme et de versification propre à la chanson ou au rap. Complètement libre, ce phrasé s'ouvre à une prose pamphlétaire qui trouve son efficacité dans la rhétorique plus que dans le rythme et fait basculer par là la musique pop dans un espace où tout peut être remis en question. Et DJ Mutante, en même temps qu'il découvre cette puissance d'invectiver, accomplit aussi la logique du pamphlet, la pousse jusqu'à sa limite. Le discours assassin de Khan Gourou apparaît avec une nouveauté fulgurante dans le champ de la musique qu'il investit. Mais l'argumentaire violent qu'il adresse à la culture québécoise, il le tire (probablement inconsciemment mais néanmoins de la manière la plus évidente) de toute une filiation essayistique encore très peu connue qui inclut des figures marquantes de notre histoire littéraire du dix-neuvième et du début du vingtième siècle, comme Octave Crémazie, Arthur Buies et Jules Fournier. Cette tradition pessimiste et radicale opérait ce constat terrible concernant notre culture, qu'elle n'est peut-être pas viable hors d'un système institutionnel où s'exerce une mainmise d'autorités qui n'ont finalement rien à faire de la valeur esthétique des oeuvres produites.

Comme au dix-neuvième siècle et pour une bonne partie du vingtième, la littérature était déformée par la préséance de l'idéologie chrétienne ou nationale sur la qualité des oeuvres littéraire, Khan Gourou dénonce aujourd'hui la mainmise de l'idéologie patrimoniale sur les oeuvres musicales qui impose une histoire et un canon à la musique populaire récente indépendamment de sa valeur esthétique. Luc Plamondon est la première victime de cette critique radicale, dont le répertoire devient pour Khan Gourou l'exemple de l'imposture d'un système qui accorde après-coup une valeur esthétique arbitraire à une oeuvre qui ne doit son succès qu'au dopage par les fonds publics du succès commercial. Le roulement sur les radios commerciales légitimant supposément un engouement d'une majorité du public québécois, ce succès commercial devient alors la soi-disant confirmation que cette oeuvre parle au nom du public. C'est du thème de la "fierté" dont parlent "Il est venu le temps des claque s'a yeules" (la pièce-titre de l'album) et "Notre tonne de pourris", une fierté usurpée, pur effet sans fondement des manipulations cosmétiques du capitalisme culturel:

Je tiens à remercier mon gynécologue ainsi que mon chirurgien plastique d'avoir fait de moi une grande vedette qui peut passer toutes les semaines à salut bonjour et lire la météo. Je prépare un album solo et ça va sûrement passer à la radio, mon agent me l'a dit. [...] Et nous autres on a eu des subventions pour sortir des belles grosses chansons pour faire un album et mener notre carrière.
Ce projet de dénonciation radicale du showbusiness se double aussi d’une charge sans compromis contre la génération précédente du baby boom qui se décline le plus intensément dans « Un fucké en Alaska », une fable métaphorique construite autour d’un fétichiste scatophile qui remercie sarcastiquement ses parents de l’avoir humilié, battu et rendu fucké :

Tous les jours, je me lève, à tous les matins, je me rase tout le corps et je me dis : pourquoi je suis fucké de même? Bien je pense que je vais appeler mon père. Pis mon père il me dit de manger de la marde, ça fait que je mange de la marde au propre comme au figuré. Oui je suis bien fucké, je le sais.
Le texte improvisé est encore une fois rendu sur un fond de hardcore hyperviolent. Il faut cependant ajouter que malgré la nouveauté et la violence singulière de la posture de Khan Gourou, Il est venu le temps des claques s’a yeules se montre parfois inégal. Des pièces comme « Y faut que tu fumes du pot », « Power to the mongols » ou « Fuck le chien » sont incapables de trouver un moyen de dépasser cette posture radicale de l’aliénation culturelle et finissent par tourner en rond dans une sorte de lamentation désespérée. La profonde singularité de cette démarche artistique fait cependant de cet album une œuvre majeure de l’underground musical québécois. En alliant hardcore techno et une harangue hargneuse complètement libre, Khan Gourou installe sa critique radicale de la culture hors de la chanson dans un espace imprenable, imparable, irrécupérable dont ne peuvent que rêver ces autres grands critiques de la culture que sont et qu’ont été Mononc’Serge ou Plume Latraverse qui, faute d’avoir pu trouver une forme musicale radicalement marginale, finissent inévitablement dans l’ironie et le cynisme amusé. Le temps d'un album, même mal produit et même imparfaitement composé, Khan Gourou a défriché un espace critique qui reste encore aujourd'hui à occuper. Un espace dont nous avons présentement cruellement besoin.

N'ayant pas pu obtenir de copie de la pochette originale, je vous laisse donc avec une image de kangourou en train de boxer.

Auteur et critique littéraire, Mathieu Arsenault s'occupe du blog Doctorak, Go! depuis novembre 2008. Il y tient des réflexions sur les phénomène culturels actuels comme le design, les jeux vidéo, la cyberculture et sur la manière dont ils peuvent être pensés à travers la culture littéraire.


vendredi, septembre 18, 2009

Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présentent un survol de la musique underground québécoise en 10 albums.




Les Abdigradationnistes - Vierges mais expérimentées (1999; Indica)

Avant qu'il existe les hipsters qui sont tout chic et raffinés, il y avait ce qu'on appelait la "scène locale" avec du monde sale et mal habillés qui dansaient en se rentrant dedans sur du rock dérivé de punk ou de métal dans des trous comme le Café chaos (l'ancien) et le Jailhouse (pendant les Kabarets kerozène). C'était ben le fun, mais j'étais pas trop sûr au sujet de me faire rentrer dedans, musicalement ou physiquement. Et dans ce temps-là aussi, les soirées de poésie étaient vraiment plates et pleines de monde qui se cachaient derrière leur feuille pour déchiffrer des poèmes qui disaient qu'ils aimaient leur père et qu'ils avaient hâte à l'été pour faire des rénovations sur leur maison. Et puis les Abdigradationnistes sont apparus au milieu des années 90, dans les soirées de poésie d'abord, puis sur la scène locale. La formule détonnait : Pascal Angelo Fioramore récitait plus souvent qu'il chantait, soutenu par les accompagnements préenregistrés d'un petit clavier bon marché qu'opérait alors Pascal Desjardins. Se sont ajoutés ensuite des instruments tout aussi improbables: le violon de Warner Alexandre Roche et, durant un moment, le scratch de DJ DLT. La musique des Abdigradationnistes est

À sa place à la fois sur l'une et l'autre des scènes tout en demeurant partout résolument excentrique, Fioramore montait sur scène, tantôt habillé en robe de soirée, tantôt dans un ridicule complet bleu poudre, ses textes en main, qu'il savait pourtant par coeur mais qu'il brandissait pour faire comme les "poètes sérieux". Il dédiait alors chacune des pièces à un auteur classique ou à une figure incongrue, Rousseau, Nietzsche ou Cindy Lauper, son charisme étrange provoquant à chaque fois l'hilarité générale.

On pourrait les croire précurseurs de l'humour absurde des Denis Drolet ou de Jean-Thomas Jobin, mais il y a plus que l’humour chez les Abdigradationnistes. Ce qu'ils appellent eux-mêmes leurs "pitreries" plonge en fait dans l'histoire des cabarets d'avant-garde, et s'ancre dans cette attitude bohème qui remonte jusqu'au milieu du dix-neuvième siècle. Mais les Abdigradationnistes ne sont pas tout à fait des représentants de cette bohème artistique actuelle, qui ne prend rien au sérieux, en premier lieu l'art d'aujourd'hui. Ils organisent plutôt une célébration de son histoire, puisqu'ils la mettent consciemment en scène, parodiant la figure du poète comme du grand artiste non pas comme elle se présente aujourd'hui, mais comme on se la représente historiquement. C'est peut-être de cette manière qu'on peut comprendre "Seigneur", qu'on retrouve sur leur premier album, Vierges mais expérimentées, qui parodie la posture romantique de l'artiste inspiré dans une espèce de rap déstructuré sur un fond scratché qu'accompagne la mélodie de la Soirée du hockey jouée au violon:

Toute l'intelligentsia qui pense que tout est là
J'en ai plein le cul des soirées perdues au fond d'un café ben bandé
à m'imaginer voir la vérité
moé la vérité je la connais par coeur
c'est celle du seigneur
celle de ton coeur
mais le seigneur me fait mal au coeur
parce que je le connais par coeur
être intelligent
c'est une chose pour les charlatans
ils se crossent et ils s'écartent en lisant Descartes
Moé moé moé mon cerveau je le garde pour bobino

En tant que performeurs, les Abdigradationnistes incarnent le paradoxe de toute histoire de l'avant-garde qui s'est construite en rejetant constamment toute institutionalisation et qui pour cette raison, construit une histoire excentrée d'elle-même où les figures marquantes constituent une filiation négative puisque chacune devrait logiquement nier la précédente. Paradoxalement, c'est peut-être en marge de la chronologie des mouvements esthétiques, dans la mise en scène musicale de cette histoire que les Abdigradationnistes arrivent peut-être à résoudre cette aporie, à travers une célébration de l'ethos de l'artiste moderne qui, lui, semble pouvoir se répéter sans avoir à nier sa forme précédente. C'est peut-être à cette célébration que nous convient les Abdigradationnistes, à une célébration des postures de la bohème littéraire européenne qui, à travers le groupe automatiste, a marqué ici profondément notre conception de la figure de l'artiste.

Même s'ils sont apparus à peu près cinquante ans après la parution du Refus global, il est inutile de préciser qu'ils ne furent pas du grattin des célébrations de cette parution. Mais ils auraient assurément dus en être tant leur musique se trouve en filiation directe avec la vision poétique de Claude Gauvreau : pousser l'exploration de l'écriture spontanée hors du champ du vocabulaire existant et atteindre par là l'écriture libératrice des pulsions de l'égo, qu'elles soient violentes ou sexuelles. Gauvreau aurait sans doute été ému par la charge pulsionnelle d'"Allons toi, regarde-nous":

Allons, toi, regarde-nous
qui sommes beaux devant la terre
oh oh les élastiques élans poétiques
frappe à ma porte et m'apporte des fausses notes
que devrais-je faire dans ce moment inspiratoire
de déboires à vroc à sic à roum tram et silicone de vie

ah ! le sucre jaillit et j'en ai plein le ventre de ce jus ambre
ambré ambro moi je crosse le taureau
toréador qui aime mon sort.


Gauvreau s'y retrouverait assurément: la chanson commence par la redécouverte libératrice de l'ego (regarde-nous qui sommes beaux devant la terre), qui enfle jusqu'à la pulsion langagière pure (de déboires à vroc à sic à ...) pour se terminer par cette image chère au surréalisme de l'existence comme tauromachie où eros et thanatos se lient dans une étreinte inextricable, destin tragique et inévitable de tout emportement de l'ego se heurtant au mur de la réalité. De la même manière, Gauvreau aurait certainement dans sa playlist de Ipod "J'en ai", célébration euphorique de la pulsion sexuelle. (Je n'en citerai rien, je vous laisse la surprise de l'écouter.)

Peut-on trouver un sens à cette célébration de la libération de l'imaginaire, du langage et de l'ego maintenant qu'elle semble s'être étendue à toute la culture jusqu'à pénétrer dans le marketing le plus banal et le plus insidieux? Un tel débat suppose toujours que la pertinence de telles postures repose sur leur caractère résolument nouveau à leur époque. Mais la nouveauté n'est pas en question ici, il faudrait plutôt trouver la pertinence dans la distance critique que ces postures peuvent nous donner sur notre époque. Par exemple, la célébration de l'imaginaire et de l'ego du Cirque du Soleil n'a que faire des délires langagiers et sexuels, comme la célébration apparente de la libération sexuelle dans la pornographie organise en fait sa normalisation à travers sa désubjectivation. Comme la célébration de Refus global enferre quant à elle son cri dans l'histoire de la révolution tranquille.

Les Abdigradationnistes ne seront jamais Jean Leloup ou les Colocs, ils n'ont pas défini leur époque, ni n'ont annoncé son renversement. Le son de leur formation, principalement à l'époque de Vierges mais expérimentées, les place cependant tout naturellement dans ce courant de l'underground: les claviers cheaps à la Normand Lamour leur donnent un son qui évoque immédiatement l'art brut que le violon (et le scratch dans une moindre mesure) réchappent cependant pour en faire autre chose qu'une parodie kitsch, redonnant assez de légitmité à l'emprunt pour que leur posture se tienne musicalement. Ainsi même jusque dans son son, "le plus vieux groupe encore dans la relève" comme me l'a déjà dit Warner Alexandre Roche, se maintient en marge de tous les milieux, rappelant à tous à quel point la posture underground est fragile, sa célébration difficile et sa critique, nécessaire.

Auteur et critique littéraire, Mathieu Arsenault s'occupe du blog Doctorak, Go! depuis novembre 2008. Il y tient des réflexions sur les phénomène culturels actuels comme le design, les jeux vidéo, la cyberculture et sur la manière dont ils peuvent être pensés à travers la culture littéraire.