vendredi, septembre 11, 2009

Agapè – Le Troisième Seuil (1972; Agapè AG-2001)

Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présenteront un survol de la musique underground québécoise en 10 albums.



Qu'est-ce qui fait qu'un album devient underground? Serait-ce son tirage initial réservé à une diffusion on ne peut plus locale? À moins qu'il ne s'agisse d'une autoproduction aux moyens techniques limités ou décidément en marge des courants reconnus de son époque? Et si c'était dû au style musical, le fait qu'il exploite une sous-tendance de la pop (grivois, novelty, religieux, etc.) ou fusionne des genres qui ne s'étaient jamais auparavant cottoyés? Le Troisième Seuil du groupe Agapè, c'est un peu tout ça. Pressé à environ 500-1000 copies voir moins, l'album est inévitablement demeuré méconnu depuis sa publication, mais ce n'est qu'un des aspects qui explique son statut underground. Oh... Je vous ai dit qu'il s'agissait de chants chrétiens?

Pour la petite histoire. En 1967, le jeune prêtre et auteur-compositeur André Dumont se voit confier le rôle de Directeur Artistique pour les Disques RM (Radio Marie), propriété des Pères Oblats du Sanctuaire du Cap-de-la-Madeleine. Pour ses premières réalisations, paralèllement à des productions strictement religieuses, il initierait la série Jérusalem qui proposerait des messes rythmés d'un nouveaux genre, animées par des jeunes talents folk-rock de la région de Québec (voir compilation Résurrection! Vol. 1). René Dupéré (B.O. du Cirque du Soleil) fut recruté et y composerait ses premiers titres pop-rock professionnels. Il n'hésiterait pas à suivre Dumont en 1970 lorsqu'il eut envie de pousser sa conception de la pop litturgique à son zénith. Autour de ce dernier, graviteraient bientôt des musiciens de RM, des religieux, de nouveaux talents (notamment Marc Lebel), une communauté d'artistes audio-visuels baptisée le Groupe d'Animation Pastorale (abrégé GAP). Inspiré de Vatican II, on entreprit de réaliser des animations dans les écoles avoisinantes lors des classes de pastorale en lâchant les bondieuseries dans le chant religieux (cit. A. Dumont).  


Profitant d'un accès privilégié aux studios RM, au moins trois albums furent enregistrés pour accompagner, en partie, des diaporamas spirituels créés pour l'occasion par les artistes du GAP. Il y avait ceux du groupe Des Gens comme vous et moi (éponyme), de Marc Lebel (Un de plus) & finalement de Agapè (Le Troisième Seuil). À mes oreilles, chacun participe au mythe de son homologue dans cette Sainte Trinité des pressages privés folk Québécois. Diamétralement opposés: Lebel sabre à grands coups de guitare son inventif protest-folk électrifié alors que Des gens comme... construisent de véritables perles pop-rock par moments à la westcoast circa 66 (Peu importe), ailleurs vaguement chrétienness avec quelques instrumentaux fort accrocheurs. Et pourtant, ils sont indiscociables, ne serait-ce que par la participation occasionnelle de musiciens similaires sur chaque album. Underground? Affirmatif. Lightshow pédagogique en prime!













Ce qui fait que Agapè est un projet si singulier, déjà dans son approche sonore que dans son propre sous-genre, c'est que le groupe a délibérément souhaité créer un album underground.... dans la lignée des Moody Blues (notes de production). Le feuillet remis lors des auditions est sans équivoque:

Underground Chrétien. Agapè, un disque peu commercial sans doute, parce que profond. Un disque où on a mis le paquet pour une qualité sonore supérieure. Fruit d'une collaboration de plusieurs mois entre des compositeurs, musiciens, interprètes, théologiens du jeune Québec. Agapè, une étiquette qui rejoint l'idée du «voyage» de la musique underground anglaise et américaine, au lieu de petits chants éparpillés [...]


Sur fond de mysticisme, l'album met en musique le parcours conceptuel d'un pèlerin à travers trois seuils d'éveil spirituel: la conscience de soi, la découverte de Dieu et enfin, l'Amour qui illimite... Agapè. C'est bien beau tout ça, mais comment ça sonne me demanderez-vous?

La rencontre de plus de 13 musiciens et chanteurs offre des métissages originaux et parfois délicieusement maladroits, tâtant à la fois du protest-folk, de monologues ésotériques, de marches pop-psychédéliques aux atmosphères gothiques à l'orgue (celui du Sanctuaire du Cap, imposant) et clavecin pimentées ça et là d'effets sonores modulés. Unique, dites-vous? Sous une nette tendance folk-rock, se vautrent des ambiances quasi progressives traduisant la complexité de ce pélerinage musical. Une kitchen sink production, comme on dit.

 
L'ensemble des compositions demeure malgré tout accessible, bien que le thème principal déroutera nombre d'auditeurs à la première écoute. On y distinguera néanmoins deux perspectives qui atomisent la thématique, tant face à la foi qu'au dogme, où simultannément des textes critiques (la plupart de Marc Lebel, dont l'intense Vous êtes pas tannés de crever) cottoient des avenues définitivement plus mystiques (de l'Ouverture dramatique au psychédélisme de La fin des temps ou Le printemps des pauvres en passant par tous les voice over de André Dumont). Du coup, la jeune génération faisait enfin sortir le bon 'yeu des églises pour le mettre sur un stage... à grands coups de blasphèmes! Le clergé tolèrerait en retenant son souffle...

En 1972, une surprenante dichotomie s'observait chez deux groupes Québécois plutôt distincts, témoignant encore une fois de notre quête identitaire tumultueuse au tournant des années 60-70. Offenbach remplierait à nouveau les bancs d'églises en important le rock chanté en latin de Saint-Chrone-de-Néant à l'Oratoire Saint-Joseph alors qu'en dehors de la métropole, Agapè tentait inversement de se déraciner du dogme pour rocker et transcender l'évangile... Nos messes à gogo avaient décidément trouvé leur point de non-retour.


André Dumont avec sa copie originale (février 2009)

1) Lhomme moustachu qu'on aperçoit sur la page frontispice de l'insert n'est nul autre que Alain Dumont, frère de André, mais aussi guitariste du groupe psychédélique de Québec La 5e Dimension (Jeunair; 1966?; L'Évasion / L'Amour Revient ) ! Curieusement absent des notes, son rôle au sein du projet n'a pas encore été clairement défini.

2) Je tiens à remercier chaleureusement le Père Dumont pour son ouverture, son investissement personnel, sa dédicace pour mon exemplaire du Troisième Seuil (!) et ses truculentes anecdotes lors de nos récentes entrevues.


Téléchargez l'album complet / Download the complete LP :

Agapè - Le Troisième Seuil (1972; Agapè AG-2001)

mercredi, septembre 09, 2009

Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présenteront un survol de la musique underground québécoise en 10 albums.


Les Flokons Givrés -
Vedgis, Vedgis, Revedgis

(pressage privé; 2001)

Jusqu'où peut aller le punk dans la destruction? Le plus souvent, l'ironie sauve les punks de leur misanthropie ruineuse. Mais les Flokons givrés n'ont d'ironiques que le nom et Vedgis, Vegdis, Re-vedgis (2001, mais il s'agit je crois d'une compilation CD de pièces qui ont circulé sur cassette depuis la fin des années 80) offre plutôt le spectacle d'un lent enlisement dans un cynisme de plus en plus déstructurant. Pour bien esquisser le cheminement vers cette déstructuration, il faudrait remettre les pièces de l'album dans l'ordre de cette descente vers l'entropie qu'il propose. Cette descente commencerait par "Christ d'hostie de tabarnak", qui constitue une toune antisociale comme le punk en compte des milliers. On pourrait faire suivre par "La mentalité" dans laquelle on assiste à l'écrasante défaite de toute morale à travers la figure des skinheads par laquelle elle s'effondre. Blancs ou rouges, les skins dans cette chansons ne prennent pour prétexte les valeurs de l'ordre et de la justice que pour mieux se taper dessus. "L'escargot" représente quant à lui la seule tentative de chanson politisée des Flokons givrés, mais ce n'est que pour aboutir finalement au désengagement le plus amorphe, celui de l'escargot:

Ça va pas à l'école, un escargot
Ça cherche pas une job, un escargot
Ça vit au jour le jour, un escargot

Ça vit comme nous-autres [...]

Un escargot écoeuré par sa bave

Se cramponnait sur son unique pied

Les traces qu'il laissait, par derrière le faisait chier

Fa qui s'est laissé
Sécher

Toutes considérations sociales, politique et morales complètement liquidiées, la place est libre pour amorcer ce dérapage irréversible vers une destructuration qui n'a jamais connu aucun égal en musique québécoise et qu'on ne pourrait comparer qu'à ce brouillard confus vers lequel régresse la dernière lueur d'humanité dans les yeux des schizophrènes désinstiutionnalisés qu'on peut croiser au centre-ville de Montréal. "Barré des foufs" ne montre que la rage désorganisée de la marginalisation:

À c't'heure pus moyen d'tripper
À chaque fois que j'veux m'blaster

I sont là pour me faire chier

Christ d'ostie chus donc tanné
Barré des Foufs,
i m'font tout' chier
Barré des Foufs
Barré des Foufs, gang d'enculés
Barré des Foufs

"Mescaline" célèbre niaiseusement le plaisir de se péter la face au PCP à plus se rappeler comment on s'appelle, à quoi viennent répondre logiquement "Pus rien à boire" et "Vedge à l'os" où l'inactivité et la plus pure passivité prennent définitivement le dessus; Dernière tentative de communiquer quelque chose au monde, "Hymne au Seigneur" finit pourtant par n'être qu'un texte incompréhensible et paranoïaque. La pièce la plus troublante de l'album est assurément "Mon linge est sale":

Des fois mon linge est sale I' faudrait ben l'laver
Mais le savon est cher
Fa que faut j'reste crotté
Faudrait que j'trouve d'l'argent

Pour que mon linge soit plus blanc

T'en as un tas

Donne-moé d'la mesc

J'peux pus bouger

Donne-moé d'l'a biére.

Serait-il exagéré de terminer ce réarrangement de l'ordre des pièces de Vedgis, Vedgis, Revedgis par "Vide"? L'absence de texte sur cette pièce instrumentale laisse de ce point de vue songeur.

Ce récit d'une existence vie à la dérive peut nous paraître exagérément caricaturale, mais il constitue le miroir d'une portion insoupçonnée de la population, punks crusty, junkies du centre-ville, psychotiques et sans-abris laissés à eux-mêmes. Pour ceux-là, la cassette des Flocons givrés a peut-être pu constituer dans les années 90 la trame sonore de leur décadence. Pour cette raison, ce disque est sans aucun doute un des plus importants de notre discographie marginale: il parle au nom des véritables parias que notre filet social n'a pas sur retenir, au nom de ceux qui ne peuvent même plus s'aider eux-mêmes, au nom de ces cas désespérés qui vont entraîner avec eux tous ceux qui auraient été prêts à les aider et qui se laissent aller en attendant leur fin.

Peter Boucher, le batteur des Flokons givrés, avait quitté Montréal pour Matane il y a quelques années pour fuir sa propre existence. Il s'est suicidé le 9 mars 2005. Il avait 40 ans.

Heureusement, il existe un myspace des Flokons givrés qui permet à tout le monde de se faire une idée de leur musique. Musicalement parlant, "Barré des foufs" (finalement, une reprise de Banned from the Pubs de Peter and the Test Tube Babies) est assurément la plus réussie.

Auteur et critique littéraire, Mathieu Arsenault s'occupe du blog Doctorak, Go! depuis novembre 2008. Il y tient des réflexions sur les phénomène culturels actuels comme le design, les jeux vidéo, la cyberculture et sur la manière dont ils peuvent être pensés à travers la culture littéraire.

samedi, septembre 05, 2009


Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présenteront un survol de la musique underground québécoise en 10 albums, publiés simultanément sur ces deux blogs.

Melchior Alias – Melchior Alias... (1968; Capitol 70024)


J'ai hésité avant d'inclure l'unique album de Melchior Alias à cette liste. Le disque est certe rare, méconnu et demeure non-réédité officiellement depuis sa parution originale, mais il m'apparaissait plus pop que la moyenne des autres albums cités ici et pas nécessairement difficile d'approche. Ma définition d'underground s'est néanmoins assouplie pour souligner d'autres aspects qui participent à la marginalisation de certains albums, notamment le sabotage délibéré. Puisqu'il demeure réclu derrière son mystérieux pseudonyme, spéculons sur les véritables intentions de Melchior...



Par les structures rythmiques complexes et le pauvre investissement au niveau de l'interprétation vocale, on retiendra que Melchior était probablement avant tout... un guitariste. Un multi-instrumentaliste catapulté à l'avant-scène d'un groupe déjà composé de la crème des musiciens de studio de la fin des années 60: Robert Goulet (guitare), Denis Lepage (orgue), Andy Shorter (batterie) & Serge Blouin (basse). Un trip de musiciens chevronés, avant toute chose... Peut-être était-il lui même déjà sessionman? Melchior Alias manquait-il de confiance en soi ou était-il simplement timide pour ne pas s'investir plus sérieusement dans ses propres compositions? Allez savoir... Capitol devait malgré tout espérer plus de titres au potentiel commercial pour les avoir ainsi réuni et publié dans sa série 70000 (jeunes talents francophones), en édition gatefold svp, aux côtés d'autres prospects tels Les Alexandrins, Les Cailloux, Les Atomes ou même Pierre Lalonde. Le label misa ultimement sur deux extraits en 45 tours (sur PAX notamment si je ne m'abuse), des simples publiés dans l'indifférence la plus totale. Le presque anonymat de l'auteur-compositeur manqua de piquer la curiosité du public; l'aspect brouillon des textes jumelé à la fanfaronade des chants intensifia la ghettoisation du disque dès sa sortie.


Pourtant, si ludiques soient-ils, les thèmes abordés témoignent d'une contemporéanité (oui, oui... encore) salvatrice pour le Québec de 1968. Loin de se prendre pour un poète, Melchior dit les choses comme elles sont, si banales soient-elles à la première écoute. Chu m'nu en métro automatique en bave pour les possibilités qu'offre le transport en commun et les soirées au Rex (club de Montréal). Camping, sur une rythmique originale et délicieusement syncopée, explore les déboires d'une bande de Québécois dans un univers digne du Noël des Campeurs. Itinéraire 9, sur des ritournelles surrésalistes, pourrait bien être le premier titre Dub produit par des blancs-becs d'ici. Charlebois ne pouvait pas porter toute notre modernité sur ses épaules... Les inepties qu'affectionnent le chanteur culminent dans Une nouvelle façon de parler où sur une mélodie accrocheuse, on ouvre l'almanach du peuple pour discuter des prévisions météorologiques. On se désole du manque de profondeur, mais ironiquement, pourrait-on rêver d'un thème plus pop pour les oreilles Québécoises?



Melchior prend des risques dans ses performances plus intimistes, son registre limité n'atteignant pas toujours la juste note malgré des arrangements étoffés. Le tout souligne l'urgence des enregistrements et l'ambiance enfummée qui pouvait y régner (voir le prologue de Aquarium ou Non, rien de mieux), des conditions parfaites pour produire des compositions qui resteraient solidement ancrées dans leur époque. Les audiophiles consciencieux y trouveront malgré tout leur compte, mais même aujourd'hui, rares sont ceux qui apprécient sincèrement la prose lousse du chanteur. Un obscure projet donc qui semble toujours destiné à demeurer dans l'ombre des meilleurs albums folk-rock déjantés de la fin des années 60. Et comme il y a consensus à son sujet, j'adore scrupuleusement depuis me positionner à l'opposé du bon goût et clamer qu'il participe néanmoins à la réinvention du son Québécois, devançant de quelques longueurs l'ecclectisme du rock progressif qui animerait bientôt la scène locale. Eille... un fantaisiste qui s'électrifie entre deux joints, ça mérite sûrement une seconde lecture aujourd'hui vous trouvez pas? La bouquane a ben eu le temps de se dissiper. Respect l'Alias!




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Melchior Alias - Melchior Alias... (1968; Capitol 70024)

jeudi, septembre 03, 2009


Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présenteront un survol de la musique underground québécoise en 10 albums, publiés simultanément sur ces deux blogs.


Kaméléon - Kaméléon
(1981; Pro-Culture PPC 6010)

Kaméléon ne constitue pas le premier album québécois faisant un usage extensif du
synthétiseur analogue amalgamé à une rythmique disco-glam. Considérant qu'il est sorti en 1982, soit la même année que Pied de poule de Marc Drouin et les Échalottes, il n'est pas non plus le plus important. Mais alors que utilisait la musique électronique d'une manière lyrique, cherchant un contrepoint musical à des textes racontant l'aliénation de la jeunesse dans la cruauté et la froideur des grandes villes, Pied de pouleKaméléon fait de la musique électronique son sujet, annonçant une révolution dans une sorte d'euphorie futuriste qui proclame la venue d'un nouveau mode de sensibilité proprement machinique. À ce titre, la filiation la plus évidente de Kaméléon est à chercher du côté de Jean-Jacques Perrey en France, Kraftwerk en Allemagne et Yellow Magic Orchestra au Japon, qui tous ont proclamé à leur manière l'avènement du post-humain par l'entremise d'une connexion homme-machine.



L'euphorie de cette révolution futuriste de l'électronique est cependant loin d'être utopique dans
Kaméléon, elle est véritablement prise au sérieux, arpentée dans tous ses aspects. Cet album constitue pour cela un cas très rare de réflexion par la chanson où la musique autant que les textes se répondent, se lient et se confrontent dans une sorte de combat où les tensions entre passion et doute profond sont mises en évidence. La texture des paroles est elle-même littéralement inouïe, mélange hétéroclite de fragment de science-fiction, de poésie surréaliste spontanée et d'un imaginaire populaire joual qui détonne mais trouve étonnamment sa place et semble poser cette question: comment la singularité de l'expérience humaine, nationale, subjective, peut-elle résister de l'intérieur aux pressions euphoriques de la déterritorialisation par la machine? Les paroles de "Microcosme" sont exemplaires de la mise en scène des tensions présentes dans l'euphorie du devenir-machine entre l'abandon physique et la sourde angoisse de ne pas savoir où tout cela va nous mener:

venez donc jouer
bougez donc la peau
arrachez vos vêtements
déchirez vos tympans […]

microcosme musique allergie érotique
on est tous sur la piste
pile-moi pas sur les pieds
c'est bien trop petit pour bouger comme on veut

on va finir par se faire écraser
comme les oiseaux dans ces beaux poulaillers.

Mais mais mais, si ce disque est aussi important, pourquoi Kaméléon a-t-il été si injustement oublié? Parce que la révolution de sensibilité électronique qu'il annonce et questionne n'a jamais eu lieu au Québec. Du moins pas sous cette forme. On verra plutôt quelques années plus tard le mauvais goût grossier de producteurs sans imagination remplacer les guitares par des Yamaha DX7 et insérer de timides orchestrations midi dans des structures de chanson résolument rétrogrades dont Un trou dans les nuages de Michel Rivard (1987) ou Menteur de Jean Leloup (1989) sont des exemples de cet échec lamentable qui conduira directement à leur discrédit dans les années 90. Seul peut-être El Mundo de Mitsou (1988) pourrait-il constituer un lointain représentant de ce courant mort dans l'oeuf. On y retrouve la même inventivité pop électronique, la même légèreté dansante, sans toutefois cette richesse curieuse qui fait de Kaméléon un album si fascinant.


Cependant, même si la révolution annoncée en 1982 par Kaméléon n'a pas eu lieu, ce n'est véritablement qu'aujourd'hui qu'on peut prendre la mesure de sa vision. Cette euphorie de l'homme-machine, on la retrouve aujourd'hui dans cette culture geek qui recycle, ressasse et célèbre la sensibilité non plus de l'électronique mais de l'information. Dans cette perspective, Kaméléon garde toute sa puissance d'évocation et son charme visionnaire. La structure mélodique des riffs répétitifs d'"Anachronisme", de "Rouge barbelé" et de "Génocide généthliaque" sauront toucher les amateurs de rétrogaming 8-Bit. Il faut aussi souligner l'étrange atmosphère à la fois cocasse et triomphante d'"Omnibus cactus", qui célèbre un fouillis langagier de mots se terminant en -us. Cette curiosité rappelle assurément cette passion insatiable et extravagante de la culture geek pour l'information excentrique et raffinée, et la spontanéité déconstruite de la juxtaposition de ces mots en -us répond quant à elle à cette sensibilité pour l'information inclassable et désordonnée à laquelle nous a habitué la structure de l'hypertexte.

Auteur et critique littéraire, Mathieu Arsenault s'occupe du blog Doctorak, Go! depuis novembre 2008. Il y tient des réflexions sur les phénomène culturels actuels comme le design, les jeux vidéo, la cyberculture et sur la manière dont ils peuvent être pensés à travers la culture littéraire.



Téléchargez l'album complet / Download the complete album:

Kaméléon - Kaméléon (1981; Pro-Culture PPC 6010)

lundi, août 31, 2009


Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présenteront un survol de la musique underground québécoise en 10 albums, publiés simultanément sur ces deux blogs.


Erica Pomerance - You used to think
(1968; ESP 1099)

Certains contesteront cette inclusion à notre palmarès, mais le premier album d'Erica Pomerance mérite bien à mon avis sa place au panthéon des obscurités Québécoises. Sa modernité, la montréalaise irait ultimement la cuisiner au sud du sud bleu blanc rouge...


Aux États-Unis de 1968, les pôles de l'avant-garde artistique se magnétisaient entre la scène de New York et celle de San Francisco. Paralèllement, la scène Québecoise avait soif d'identité; elle s'américanisait progressivement depuis les débuts du rock n' roll puis du merseybeat, mais ne commencerait qu'à contemporéaniser son son qu'à cette époque. Les boîtes à chansons pouvaient enfin brûler et renaître en love-in. En quête d'un métissage sonore qui nous serait propre, Charlebois rapporterait de la côte ouest américaine les effluves psychédéliques du rock pour électrifier la Chanson alors que Pomerance déménagerait vers New York pour laisser libre cours à ses transes folk. Bien qu'ainsi elle ne participerait pas activement à l'émergence du son Québécois en province, elle importerait à Greenwich Village l'esprit des cabarets folk qu'elle animait dès 1965 à McGill. Remarquée plutôt rapidement par le fondateur des disques ESP (1963-1968), on lui offrit d'enregistrer ses compositions en compagnie de musiciens américains sur ce label avant-gardiste qui comptait déjà dans ses rangs The Fugs, The Holy Modal Rounders, William Burroughs, Sun Ra et toute une trollée de jazzmen joyeusement déglingués. Ses mélodies délibérément déconstruites et son timbre dissonnant sont déjà à des lieux de ce que Marie-Claire Séguin ou Lise Cousineau pourraient un jour espérer chanter. Le magazine Vogue l'avait même décrite à l'époque comme la Lotte Lenya du folk!


Sur au moins un titre, cette proche de Leonard Cohen (elle lui dédie un morceau) entâme quelques rimes clichées à nos oreilles contemporaines, mais tellement vibrantes avec cet accent adorable sur The Slipperry Morning.


Le petit matin glissa dans mon rêve.

Je voulais l'atteindre, en goûter le miel.

Et puis je m'éveille dans un monde tout confus

où le noir et le blanc se combatent sans but

L'orbitude de ma vie déjà est éteint

Les mouvements ne sont que des perles en filet

sur une chaîne trop faible que je veux pourtant casser

mais tout s'échappe, s'évanouit de ma main.


À mesure que l'ascension lysergique de Pomerance s'intensifie, les influences déjà touffues se fusionnent dans une prose colorée et dynamique. On passe du folk, aux racines du country et par delà les rythmes orientaux (avec flûte, sitar, bongos) sans pour autant divaguer. Une personnalité fortement bluesée émerge, nue, sans artifice. La chanteuse ne saurait démentir 40 ans plus tard que la seconde face de l'album fut enregistrée sous influence, son quotidien newyorkais rehaussé de hashish et de LSD ayant révélé de nouveaux horizons soniques. La chanson You used to think annonçait déjà en introduction à l'album:


Have a drink, have a puff.

Have a smoke, have a toke! Smoke (toke) dope; Toke (smoke) dope...

Mais peu importe les moyens utilisés pour aller à l'essence de ces mélodies. Bien entendu, sous acide, le psychonaute croit toucher à la Sagesse, mais de l'extérieur, c'est parfois un tout autre spectacle qui s'offre à nous. Et lorsqu'on affiche une telle liberté dans le chant, inévitablement l'un ne va pas sans l'autre.... Pour preuve, ses quelques écarts sur Burn Baby Burn ou Koanisphere. Captez donc promptement ces vibrations qu'elle transpire... Cette chanteuse-là, elle iradie! You dig?


Ce premier album fut réédité officiellement sur ESP Disk; leur site web offre la liste complète des collaborateurs. Je vous invite aussi à lire une excellente entrevue avec la chanteuse (devenue depuis réalisatrice) sur Blastitude.


samedi, août 15, 2009


Panorama sur l'Underground Québécois en 10 albums

Tout au long du mois de septembre, Patrimoine PQ en collaboration avec Doctorak, Go! vous présenteront un survol de la musique underground québécoise en 10 albums, publiés simultanément sur ces deux blogs.


Oubliez ça, là, Beau Dommage pis Malajube pis Jean-Pierre Ferland, la musique la plus signifiante qui s'est faite au Québec se trouve dans l'underground. Pourquoi signifiante? Parce que nous sommes présentement dans un creux identitaire collectif. Nous ne savons plus qui nous sommes et pour cette raison la transmission de grandes oeuvres rassembleuses du canon culturel est devenue suspecte. Qui autour de vous se tappe encore spontanément une compile de Gilles Vigneault en dehors du temps de la Saint-Jean? Qui pense sincèrement que Coeur de pirate ou Pierre Lapointe traversera les époques? Même les Colocs... Je commence à trouver suspecte l'hagiographie sirupeuse de Dédé Fortin qu'on nous enfonce dans le fond de la gorge depuis quelques mois. Nous avons un besoin urgent en musique de prendre une distance critique, et il semble qu'on peut le faire en plongeant dans un ensemble d'oeuvres musicales dont la seule existence permettrait de prendre du recul par rapport à ce grand récit identitaire québécois qui ne fonctionne plus.


Pour nommer ce courant musical, nous avons choisi de reprendre l'appellation de « musique underground », et paradoxalement, nous sommes incapables d'en apporter une définition formelle, voir définitive.
Nous avons construit ce survol en 10 albums selon des critères intuitifs et, franchement, complètement subjectifs, mais le tout devrait néanmoins animer un débat passionnant. Il devait s'agir d'albums peu ou pas connus mais qui disaient quelque chose sur leur époque, sur la musique, sur la culture en général. On retrouve ces albums en marge des courants de leur époque, mais pas ailleurs cependant: ils les reprennent, les évoquent, les réorganisent ou les critiquent. Parce que la marge est un lieu d'expérimentation, de contact potentiel et de reconfiguration de tous les matériaux culturels disponibles, ils explorent les tensions et les paradoxes de leur époque. Ainsi, à titre d'exemple, Le Troisième Seuil de Agapè (1972) subit à la fois les influences du renouveau liturgique au Québec et de la musique psychédélique américaine; Kaméléon de Kaméléon (1982) cherche à penser les tensions identitaires internes à la révolution du post-humain en musique; Il est venu le temps des claques sa yeule de Khan Gourou (1999) essaie quant à lui de liquider dans un geste suicidaire une culture québécoise devenue stérile.


La musique underground n'est donc pas un genre, ni un courant, elle constitue plutôt un répertoire d'oeuvres négligées à leur époque pour toutes sortes de raisons mais dont nous avons besoin aujourd'hui pour cette même raison, car elles nous permettent de prendre du recul et de poser un regard critique sur les canons culturels majoritaires lorsque ceux-ci ne suffisent plus à nous comprendre nous-mêmes. Par sa situation résolument marginale, la musique underground constitue une sorte de simulacre paradoxal de notre époque, car en parlant de la leur, elles en disent infiniment plus sur la nôtre, rendant leur redécouverte plus importante que leur parution originale, et leur écoute aujourd'hui plus signifiante que le moment de leur enregistrement.


En sélectionnant ces albums-cultes selon nos préférences musicales, nous avons aussi choisi de miser sur le pop appeal d'un tel exercice; exit donc les disques jazz, électro-accoustiques ou d'orchestrations contemporaines qui, pourtant marginalisés dès leur création, se trouvent néanmoins inscrits dans des courants institutionnels qui leur donnent déjà une signification, déjà une histoire. Les prochains articles illustreront d'ailleurs les préférences musicales de chaque blogueurs (on remarquera la fascination de Sébastien de Patrimoine PQ pour la fin des années 60, et celle de Mathieu de Doctorak, Go! pour le pop électronique des années 80 et 90); joignez-vous au débat pour combler les failles ou les titres absents de cet exercice qui, je vous le rappelle, s'attaque à plus de 40 ans de musique underground.

Underground pour qui à part de ça? Ce qui décoiffera un auditeur hollandais ne choquera pas pour autant le mélomane québécois, et vice-versa. Comme pour le kitsch, à la limite du bon goût ou de l'erreur (horreur?) esthétique, ce qui est fascinant pour l'un peut paraître banal pour l'autre. Ce qui persiste par contre c'est le dépaysement, l'inconfort dans la difficile définition de ce qui s'offre à nos oreilles. Malgré des références culturelles évidentes, le disque underground décontenance en se positionnant autant à la croisée des styles qu'en marge de ceux-ci. Parfois, il choisira d'être résolument difficile d'écoute. Un artiste ne fait pas que de la musique pour plaire, vous savez... Pour une fois, faisons fi des étiquettes et revalorisons ces artistes mal aimés, méconnus, ignorés, mais pas oubliés.

Le premier album sera publié ce lundi 31 août.
Bonne écoute!


dimanche, août 02, 2009


Patrimoine PQ présente Les Filles d'Aujourd'hui

Notre seconde baladodiffusion mise cette fois sur l'émancipation de nos chanteuses populaires au tournant des années 60 & 70. Aux travers des rythmes soul ou d'un rock tonitruant, les jeunes et fragiles voix de la vague yé-yé passent aux choses sérieuses en y mettant tout la gomme. Il est bien révolu le temps de boîtes à gogo... mais cela ne devrait pas vous empêcher de vous trémousser sur les chansons dévergondées de Patsy Gallant, Anik de Luk, Guillotine ou bien Éloïse. La plupart de ces titres n'ont toujours pas été réédités ou compilés. Pour cette seconde édition, l'ami et collectionneur émérite Gaétan se joint à moi pour cet hommage aux Québécoises. Garçons et filles, bonne écoute!

Our second podcast, Les Filles d'Aujourd'hui (Today's girls), focus on post-yéyé female singers at the turn of the 60's & 70's. Mostly uncomped or unreissued singles from obscure names such as Anik de Luk, Nadya or Marie-Claude. You'll also hear some fairly known singers like Patsy Gallant pushing their boundaries and reinventing their image over some mad funk or blues rock numbers! Think outside "les boîtes à gogo"... With the help of friend and fellow collector Gaétan, we bring you the roots of Quebec's rock scene... with a feminine edge.

Sélections / Tracklist:

Jingle CJAD Montréal
Anik de Luk - Les Filles d'Aujourd'hui

intervention

Andrée Cousineau & Michèle Mercure - Kid Sentiment
Louise Lemire - Emmennes-Moi
Patsy Gallant - Le lit qui craque

intervention
Guillotine - Hands of Children
JIngle CJAD Montréal
Marie-Lou Gauhtier - In the Summertime
Eloïse - Je suis Pour

intervention
Lori Zimmerman - 'Cause the world is mine
Jasmine - Les Millions

Anna Bell - Cendrillon

intervention
Marie-Claude - Un peu beaucoup
Karo - Dans le ventre d'une énorme baleine
Nadya - Tu es le même

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Myriam Martin - Dansons le Blue Beat







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Patrimoine PQ présente... Les Filles d'Aujourd'hui.

mercredi, juillet 29, 2009

Le Trio BAK (B. Blain, A. Fraser, K. Vallée; 1964)

Karo Vallée - Discographie Match & Vedette (1re partie)

J'adore Karo. Elle a ce je-ne-sais-quoi qui charme à tout coup, elle investit ses performances, mêmes les plus farfelues, ne pousse pas sa voix comme la plupart des starlettes, ne recours pas à un gimmick bon marché et produit des tubes parmi les plus accrocheurs de l'époque. Sous ses airs de garçon manqué se cache une auteure-compositeur qui ne manque pas de cran, aussi ludique que farouche. Découverte en pleine vague yéyé, voilà une artiste qui dès le départ se démarquait par ses positions; faisant fi de tout flafla, elle s'imposait délicatement en jouant de la guitare, en composant et signant tous ses titres. Une perle rare sur la scène Québécoise des années 60...


Karo (née Caroline Vallée) fait ses débuts artistiques au sein du Trio BAK de 1964 à 1966, aux côtés de Alan Fraser (plus tard de l'excellent duo folk Fraser & DeBolt) et de Brian Blain. Ces premiers pas chez les chansonniers expliqueraient en partie le fait que Vallée soit si près de ses compositions. C'est l'étiquette Match (filière des disques Météor) qui miserait en premier sur ce potentiel, celle-là même qui avait publié l'unique simple du Trio BAK. D'entrée de jeu, elle lui commanderait une série d'adaptations de succès du jour (Bang Bang, Un jour un jour, Ma casquette, Les boîtes à gogo) laissant peu de place à sa créativité (Il m'appelait Goguette). Ces titres seraient ensuite jumelés à ceux d'autres artistes (Les Aristos, Les Internes, Jean Berthiaume) sous forme de 45 tours "partagés" disponibles pour diverses promotions au supermarché. En échange de quelques coupons obtenus à l'achat de pain notamment, vous receviez en prime votre disque! Bon deal pour deux produits essentiels... La chanteuse (ou son label) fait preuve de tenacité jusqu'à l'obtention de son premier hit (Un garçon en mini-juppe, inspiré par le gimmick des Mersey's), son treizième simple en à peine 1 an.

La première reprise commandée à Karo fut Bang Bang en 1966, déjà un hit pour Nancy Sinatra et plus près de nous, Claire Lepage qui avec ce même titre remporterait le Méritas de la Découverte de l'année. D'un point de vue critique, il s'agit d'une curieuse décision que d'opter pour cette chanson, déjà plusieurs fois recyclée; toutefois, Match mise avant tout sur la production d'articles promotionnels, modestement et rapidement. La transition de chansonnière à chanteuse yéyé s'opérerait dans une performance plutôt rigide où Karo s'accroche à son texte en omettant d'y injecter l'intensité nécessaire. Elle se reprendrait deux simples plus tard sur Jimmy Attends-Moi, une délicieuse adaptation d'un hit mineur pour la française Laura Ulmer. Karo ouvre son coeur à son amoureux de campus sur ces quelques couplets-monologues, le suppliant de l'attendre, elle qui est plus jeune. Craquant.



Pour son sixième simple, Karo opta pour l'hymne pop commerciale par excellence de 1967 et revisita le Thème de l'Exposition Universelle de Montréal, Un jour un jour. Ce happening culturel surréaliste aux visions titanesques avait inspiré à Stéphane Venne une chanson thématique vitaminée, sur fond de yéyé, qui devait être chantée par de nombreux interprètes en plusieurs langues, notamment Donald Lautrec, Michèle Richard... et même Nobuo Harada & ses 5 Charaters! L'interprétation de Vallée demeure plutôt mécanique et les arrangements bien que fidèles à l'original, restent limités.

C'est par une version inespérée d'un des premiers succès de Michel Polnareff que la chanteuse effectue le pont entre ses convictions de chansonnière et la musique populaire. Dramatique et reposée, Karo témoigne son affection pour ce succès récent et plutôt méconnu des Québécois dans une interprétation convaincante, soutenue par une production juste et délicate. Pendant que les jeunes filles saturaient de leurs cris la version des Sultans de "La poupée qui fait non" (aussi de Polnareff), Karo exploitait la facette plus intimiste de cette légende en gestation.



Le duo Karo & Donald s'attaque au simple suivant, une version de l'épique Hey Joe, popularisé par Hendrix et de nombreux chanteurs folk dans les années 60, mais dont les origines semblent flous.L'identité exacte du duettiste n'est pas spécifiée sur l'étiquette: serait-ce Donald Pascal (comme l'indique Le Parolier) ou plutôt Donald Boulanger des Aristos (aussi publiés sur Match)? Le débat est ouvert... L'adaptation qu'ils en font demeure d'intérêt, par son accompagnement délicieusement primitif et le ton inhabituellement dramatique de Karo, mais aussi en partie parce qu'elle fut publiée simultannément avec celle de Nanette. Le texte est modifié à la légère mais reste d'actualité, de pair avec le mouvement des Droits Civiques aux États-Unis; curieusement, la violence du drame est toujours au rendez-vous, mais l'arme à ici disparu...

Neige Folle est un titre particulièrement rafraîchissant en cette saison. Son second simple pour sa nouvelle étiquette (Vedettes) partage la même production french-touch et soignée que son 45 tours suivant, l'excellent Sur ta moto; la mélodie est similaire, coquasse et envoutante à la fois. Vous craquerez pour ses couplets à la voix fragile et hautement perchée! Le Tangogo poursuit d'ailleurs dans la même direction en juxtaposant des envolées plus inspirées à quelques mesures ludiques, de rigueur. Karo utilise un thème qui lui est plutôt récurent, soit l'opposition ou mieux le décalage des moeurs de la jeunesse yéyé face à la génération des plus de trente ans. La jeune fille n'en a que pour le gogo alors que le paternel à une prédilection pour le tango. Tout un affrontement, donc, qui s'opère sur des arrangements de Jerry De Villiers. Robert Goulet complète ce nouveau duo. Ce nom ne vous dira peut-être pas grand chose, mais sachez qu'après quelques ballades sur 45 tours en 1964, Goulet devint musicien de studio pour les Disques Vedettes en assurant aussi le rôle de directeur artistique pour l'album de... Melchior Alias sur Capitol! C'est fou comme tout se recoupe... Le duo accumulerait sporadiquement d'autres collaborations sur Vedettes et performe encore à ce jour.



Avec tout ça, nous n'en sommes toujours qu'à scruter les productions de1967 et, bien entendu, la liste des simples de Karo ne s'arrête pas là. En plus de ceux déjà cités, la prolifique chanteuse à pressé plusieurs autres titres, absents de la réédition officielle (Un garçon en mini-juppe) chez Mérite. Lisez sa discographie complète sur l'indispensable Le Parolier. Karo Valée poursuit toujours sa carrière, ayant délaissé la pop à la fin des années 70 en faveur du folk religieux qui la motive spirituellement depuis. L'extrait suivant explique candidement et en détails cette conversion.

Entre temps, la suite de cet article sera rédigée au fûr et à mesure que nous découvrirons d'autres titres oubliés du vaste catalogue des années 60-70 de Karo Vallée. Je tiens à remercier Michel Alario de Misérablement Vôtre pour ses anecdotes à propos de l'étiquette Match. Les photographies du Trio BAK sont tirées du site personnel de Brian Blain. Laissez un commentaire en téléchargeant.



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Karo - Simples Match & Vedettes part. 1



samedi, juillet 25, 2009


Les Disques Majaro

La carrière du chanteur/musicien/producteur Tony Roman est parmi l'une des plus fastes et écclectiques de la scène Québécoise, toutes époques confondues. Ayant un flair particulier pour les tubes et reprises populaires, l'homme sera le catalyseur et le promoteur de plusieurs carrières à succès, découvrant au passsage Nanette Workman, Johnny Farago, Nicole Martin et plusieurs autres. À l'image du producteur américain Kim Fowley, Roman avait ce don du showbusiness pour suivre les tendances culturelles internationales en les introduisant avec ou sans fracas sur les palmarès Québécois. L'important, c'était de produire la saveur du jour...

La Famille Canusa (1967?)

S'il rencontrait un certain succès avec des risques calculés pour les Baronets, Stéphane, Patrick Zabé ou le duo Christian & Gétro, il ne négligeait pas de s'associer parallèlement à des artistes plus enclins comme lui à repousser les limites mêmes de notre spectre sonore. À la manière du Dr Jekill, c'est alors que M. Hyde prenait les devants sur Tony... La nuit venue, vous pouviez l'entendre marteler du piano pour Le Cardan, électrifier des sessions pour les Hou-Lops ou La Révolution Française, participer à l'enregistrement des plus-qu'obscures Ouba et Reels Psychadéliques Vol. I-II (avec Pagliaro, Andy Shorter & Denis Lepage), s'associer au producteur Massiera pour enregistrer l'excellent Maledictus Sound (Expérience 9) et j'en passe... Les intentions de Roman étaient imprimées clairement sur ces rares longs-jeu; Freak-Out Total, stipulaient sans équivoque les pochettes de ces éclectiques projets.


Une idée n'attendait pas l'autre chez Roman et répertorier les nombreux projets auxquels il s'associait représente toujours un défi colossal pour les collectionneurs avertis. Pensez à toutes ces étiquettes de disques qu'il fonda entre 1965 et 1970: Canusa, Révolution, A1, R&B, Élite... Penchons-nous aujourd'hui sur une autre, décidément moins connue: les Disques Majaro.







Il pourrait en exister plus, mais pour l'instant tout porte à croire que ce label n'a eu le temps de publier que trois simples; trop peu pour clairement annoncer ses couleurs. Le groupe anglophile Purpose comptait parmi ses rangs Mario Lucchesi (percussions), Vito di Lorio (guitare), Alex Pasut (basse), Gilles Paradis (Hammond B3) & Jean-Claude Béliveau (chant). Leur simple fut enregistré précisément le 7 mai 1971 au studio de Tony Roman (3215 rue Ste-Catherine Est). Ce simple tout comme les autres fut pressé en mono, un fait plutôt rare pour les années 70. Comme dans le cas des enregistrements domestiques (ou pressages privés), Roman était-il conscient du faible potentiel de diffusion de ces oeuvres pour ne pas s'enquiquiner d'un mix stéréo? Possible, même si cela ne l'ait pas empêché d'investir dans la conception d'une affiche promotionnelle pour le groupe...



Les deux titres sont signés par Pasut, di Lorio & Luchezy [sic] et se rapprochent du son de groupes comme le 25e Régiment (période Ecology) ou bien Sex. Can't you see offre une solide performance blues rock qui ne manque pas de mordant: rythmique pesante et solo à forte dose de wha-wha. Béliveau demeure juste mais trop discret face à l'énergie déployée par ses comparses. Search of sound poursuit sur la même lancée, martelant le Hammond et accélérant le tempo pour suivre la cadence funky du bassiste.


Enregistré lors de la même session de mai 1971, l'unique simple de Francine Santerre bénéficie de l'accompagnement de Purpose. Le groupe parvient à insufler un certain dynamisme aux ballades pop-rock de la chanteuse, calquant sur la formule déjà exploitée à l'époque par Nanette ou Claire Lepage & Compagnie.



Je me suis arrêtée, comme son titre l'indique, ralenti sérieusement le tempo: un curieux choix en guise de face A. L'accompagnement Hammond/flûte et les doubles-pistes vocales ne réussissent malheureusement pas dynamiser cette ballade langoureuse. C'était comme si est décidément plus entraînante, même si la tonalité choisie révèle une chanteuse à la voix hautement perchée, beaucoup plus fine. La performance de Santerre est plus près de celle d'une chansonnière, électrifiée et pastorale à la fois.


À lire les matricules, l'auteur-compositeur Roger Magnan aurait signé le premier simple des disques Majaro. Ce chanteur parfois fantaisiste, à l'origine du "classique" quasi-grivois Le Père Noël c't'un Québécois, réaliserait plus tard certains des arrangements pour l'unique album pop disco de Gaston Couturier et co-signerait même toutes les paroles de l'unique disque du groupe progressif Pollen. On reconnait encore dans ce choix une illustration de la double-personnalité de Roman, misant simultannément sur des artistes plus accomplis, au son actuel et d'autres aux moeurs plus légères... Fonceur; tant qu'à faire un faux-pas, il préférait trébucher plutôt qu'hésiter, ce qui est tout à son avantage.

L'arrangeur français Xavier Monnerot-Dumaine assure la production de ce 45 tours aux accents jouals. La face A, La vie courante, est une ballade légèrement déprimante à propos des hauts et des bas du quotidien qui n'est pas sans rappeler le ton piteux que nous réservait récemment Modus Vivendi. Aux antipodes, c'est le folk rural de la face B, Hey Farmer, qui vous décrochera un sourire. Avec la dégaine nonchalente du Baron Phillippe, Magnan tanné des grands villes image son coin de paradis à la campagne.

J'mets mes culottes et pis mes rubber.
J'me gratte la poche, ça m'fait pas peur.



Merci à Lucien & Yvon Bonneville qui sont toujours en contact avec Jean-Claude Béliveau de Purpose (salutations!), qui m'ont mis la puce à l'oreille au sujet de cette étiquette et qui m'ont gentiment numérisé les simples de Purpose et de Francine Santerre. Si vous déteneniez plus d'informations au sujet des productions méconnues de Tony Roman, n'hésitez pas à nous contacter.

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During Quebec's turbulent sixties, Tony Roman acted as both a successful pop n' soul singer and a madcap producer. Between 1965 and 1970, he recorded more singers and bands you could imagine, putting out records on his multiple and diverse labels such as A1, Revolution, Canusa, R&B, Élite... He managed some more "serious" pop acts like Nanette Workman or Johnny Farago but also had a nick for pushing sound boundaries with fellow bands les Hou-Lops & La Revolution Française, even playing and producing some of the most obscure LPs out there, namely Ouba, Reels Psychadelics Vol. I-II and Maledictus Sounds (with JP Massierra).

Majaro was another one of his side-projects: a small label he ran at the beginning of the 70's, using his home-studio. Only 3 singles seem to have been recorded there, mostly in May 1971. The band Pupose offered two solid and original blues-rock numbers then backed the same day a somewhat shy pop singer, Therese Santerre. They try their best at uplifting her folk ballads; the B-side to her only 45 should please fans of Claire Lepage & Compagnie. Last, Roger Magnan (singer & arranger; co-writer of Pollen's only LP) seem to be the first 45 released on Majaro. While the A-side is downer folk-pop wich doesn't quite gel, the b-side depicting a typical day at the farm is funnier and catchier too.

Thanks to Yvon & Lucien Bonneville for the Purpose & Santerre mp3's. If you'd like to share any infos about Tony Roman's obscure projects, leave a comment or write us about it.