mercredi, mars 10, 2010









Artistes Variés - Bande Originale du film Finalement...
(1971; Spectrum SP 107)


On a souvent souligné le tournant identitaire des musiciens Québécois au début des années 70, les moeurs se libérant et notre personnalité artistique se stabilisant autour d'une modernité sans bornes faisant fie (ou exploitant, c'est selon) des tabous. Alors que plusieurs chanteurs s'émancipaient comme jamais sur disques, un phénomène similaire était observé au grand écran. Pour ne cibler que cet aspect, la tangente érotique de notre cinéma (aussi connue sous le sobriquet anglophone de maple syrup porn ) illustre bien les mutations de cette faste époque. Dès 1968, de nombreux longs métrages «osés» furent produits, le plus souvent accompagnés de bande originales audacieuses. Du lot, retenons des titres comme Valérie, l'Initiation, Après Ski, 7 fois par jour, Deux femmes en or, Viens mon amour, Les Chats Bottés, Y'a plus de trou à Percé, La pomme, la queue, les pépins et j'en passe.

À ce sujet, je ne saurais trop vous recommander les récents articles de mes amis des blogs Psyquébélique et Vente de Garage qui ont chacun publiés de somptueux billets retraçant la création des bandes originales des films Valérie et Après-Ski. On vous y offre des primeurs musicales, des informations privilégiées, de rares images et tout un survol de ces deux films. Deux lectures essentielles. Le cas Valérie a pris tout le monde par surprise en étant ensuite analysé dans La Presse, puis dimanche le 7 mars sur les ondes de RDI. L'intérêt est définitivement public. La bande sonore officieuse de Valérie fait événement et ce blog, en plus d'y avoir participé, cautionne et encourage de telles initiatives.


Bien que le ton diffère légèrement des productions érotico-pop comme L'Initiation (Denis Héroux, 1970) ou Après-Ski (Roger Cardinal, 1971), Finalement... en calque néanmoins quelques formules gagnantes, à commencer par le casting d'un couple d'acteurs déjà bien connu du public. Le film de Richard Martin raconte les tribulations d'un photographe Français égocentrique joué par Jacques Riberolles (L'Amour Humain) s'amourachant d'une serveuse de snack-bar (Chantal Renaud) en vue de la révéler au monde comme la nouvelle mannequin, la it-girl. Les deux acteurs s'étaient rencontrés et fait connaître l'année précédente sous les projecteurs du plateau de l'Initiation... avant de tomber amoureux. Des acteurs complices, voilà qui attisait déjà les cinéphiles... La distribution Franco-Québécoise incluait aussi Andrée Boucher (La corde au cou), Monique Mercure (Deux femmes en or; Viens mon amour), Jacques Desrosiers (Après-Ski), Jacques Normand (YUL 871) et Jacques Famery (Les Chats bottés; Parlez-nous d'amour).












Si le film eut un succès plutôt limité, sa sortie fut néanmoins accompagnée d'une bande originale afin de profiter de la vague maple-syrup. Contrairement à celles déjà publiées sur l'étiquette GAP, vous n'y retrouverez pas de longs instrumentaux soul ou funky adaptés au scénario et peu d'orchestrations complexes et déjantées. Pour son premier long métrage, le producteur Denis S. Pantis (Disques Mérite), flairant toujours une bonne affaire, eut plutôt l'idée de puiser au travers des meilleurs prospects de son écurie. En confiant l'orchestration à l'arrangeur chevronné Jerry De Villiers, Pantis opterait parallèlement pour des chanteurs qui avaient déjà la cote auprès du public et ceux qui n'attendaient qu'un coup de pouce de sa part pour gravir de nouveau les palmarès de la province. Il produirait le film et superviserait la bande originale en compagnie de George Lagios, futur producteur de Michel Pagliaro et Walter Rossi notamment. C'est aussi Lagios qui composera avec l'auteur-compositeur William Finkelberg (le hit Some sing some dance de Pagliaro l'année suivante, c'est lui) le thème du film, avant que la chanteuse Renée Martel n'en rédige les paroles. Cette dernière serait rejointe par d'autres protégés de Pantis, tels Bruce Huard (ex-Les Sultans), Michel Pagliaro et le chanteur folk Éric.

Denis S. Pantis (Disques Mérite)

L'ensemble des compositions reflète bien l'ambiance chaude et émancipée qui teintait déjà les productions de ce tournant de la décennie 60-70. De nouveaux soloistes comme Huard ou Pagliaro participent à cette émancipation, eux qui avait déjà quittés leurs groupes yéyés quelques années auparavant pour emprunter une tangente pop orchestrale plus.. sophistiquée. Des thèmes marginaux se démocratisent de plus en plus notamment sur l'envoutante composition de Éric, Marie Boucane. En un sens, Finalement se développe simultannément aux bandes sonores de l'étiquette GAP en animant des situations similaires, mais dégage de loin le plus de retenu. Une scène d'orgie, une dans un bar psychédélique et une autre plutôt enfumée ne réussiraitent pourtant pas à dévergonder cette production, somme toute, soft-pop. Rassurez-vous: ce n'est pas une perte, loin de là.

Des titres toujours inédits.

La plupart des titres ici réunis furent individuellement pressés entre 1969 et 1971 pour chaque artiste, sur de multiples étiquettes administrées par Pantis lui-même (Spectrum, DSP, Pax). Du lot, sept titres sur dix n'ont toujours pas été officiellement rééditiés depuis leur parution originale. Et on ne parle pas de petites pointures... Michel Pagliaro offre L'amour est là, sa reprise électrifiée de Step inside love, un titre que Paul McCartney avait offfert à Cilla Black en 1968. Le tube s'était aussi avéré être un hit mineur pour son interprète à la sortie de son second album éponyme (1970; Spectrum SP103), mais reflétait du même coup un côté légèrement fleur bleue qui serait judiceusement évacué quelques mois plus tard avec la sortie de J'entends frapper. Avant d'écrire son hit définitif, Pag ponderait un rock emblématique (quoiqu'il en dise) de la fierté nationale qui soulevait le Québec d'alors: J'ai marché pour une nation. Le vent tourne et Pag ouvrait la marche à coups de
guitares incisives sur fond de Hammond.





Ce qui surprendra les fans du rockeur, c'est l'inclusion d'un titre inédit à la bande originale: Arrête Lucie. Proposé à l'origine sur le blog de l'Ex-Exorbité, ce fougueux boogie ne semble pas avoir été publié ailleurs précédement. Absent de la discographie officielle du chanteur, cette chanson aurait même échappée aux biographes de Pagliaro qui l'omettent de leur liste, pourtant déjà exaustive. On comprend qu'il s'agit d'une commande spécifique au projet lorsqu'on sait que le personnage interprété par Chantal Renaud s'appelle... Lucie. Si l'air vous rappelait un autre titre de Pag, vous auriez raison. Arrête Lucie est une adaptation minimale de la chanson Arrête Annie, publiée en 1970 sur son second album éponyme. Une chouette curiosité, soulignée avec justesse par Martin de l'Ex-Exorbité. Restons dans les thèmes. Quelques mois auparavant, Pagliaro s'était associé à George Lagios pour composer un autre indicatif musical pour un obscure film à petit budget, L'Île (1970). Le Thème de l'Île impressionne par son dynamisme, son air de samba et l'orchestration touffue qui le vitamine. Composé par Pagliaro, la chanson a été doublement publiée en 1970: créditée au groupe "Le Studio" sur étiquette Citation puis à "Le Beau-Frère" sur la face B d'un simple de Pagliaro sur Pax. Le thème ne fait pas partie comme tel de la bande originale de Finalement, mais l'implication de ses musiciens dans celle-ci en fait une curiosité digne de mention et définitivement dans le ton... Vous possédez plus d'informations à propos du film (ou documentaire?) L'île de 1970? Écrivez-nous!



On confia le thème chanté de Finalement à Renée Martel. La chanteuse qui préparait alors son cinquième album (Mon roman d'amour, Spectrum SP108), opta aussi pour une reprise d'un titre de Barry Gibbs, ici rebaptisé Je suis la Terre. Un hymne pop doté d'un mélodie épique; le ton est léger, mais Martel demeure convaincante. Pour sa part, le thème de Finalement emprunte à nouveau quelques aspects de la bande originale de l'Initiation en tentant de répéter la formule de la ballade qui avait si bien fonctionné l'année précédente pour Diane Dufresne (Un jour il viendra mon amour) et le film. Bien que différentes, on ressent malgré tout dans ces deux ballades une même vocation: la ballade fleur bleue d'un long métrage à sensations, soulignant les leçons tirées de l'Amour... Compilé sur les nombreuses rééditions de Renée Martel chez les Disques Mérite, le thème offre des arrangements étoffés et aériens ainsi que de multiples progressions qui en font un petit bijou de chanson pop. Une somptueuse eccentricité à son catalogue!

Bruce Huard

Par de complexes arrangements et l'originalité des morceaux retenus, une singulière vibration soft-pop se dégage du lot. À la fois naive, ambitieuse et assumée. Les chansons de Bruce Huard en sont les meilleurs exemples. Vous m'avez bien lu. Comme le soleil, une composition originale, coupera le souffle aux amateurs de soft-psych et convainquera les puristes des intentions post-Sultans du chanteur. Avec ses cuivres scintillants rappelant le son du Bosstown, son refrain aussi explosif qu'accrocheur et son (trop) court break instrumental en conclusion, ce simple de juillet 1970 en imposait. Un second titre, Toi et moi, est cosigné Bruce Huard et Denis Forcier. Depuis la dissolution de son groupe, l'ancien guitariste des Sultans qui avait aussi biffurqué par le Coeur d'une génération avait développé une oreille pour des arrangements audacieux et des mélodies baroque-pop. Son influence déteint inévitablement sur Toi et moi , insufflant à des paroles plutôt mièvres un environnement sonore raffiné de cordes et de cuivres. Du bonbon. Ces deux titres furent aussi réinterprétés en anglais par Huard, mais jamais pressés à l'époque. Curieusement, ce sont ces versions qui, finalement, figurent sur ses grands succès L'amour, l'Amour, l'Amour (Mérite), Fly me to the sky (Toi et moi) & Just like the sun (Comme le soleil).

Eric (St-Pierre)

Depuis ses débuts au sein du groupe garage Les Gamins, Eric St-Pierre avait roulé sa bosse en solo afin de paufiner son approche plus folk-pop. Révélation Masculine au Gala Méritas de 1967, il enregistrerait deux albums pour Pantis et une série de simples indédits à ces derniers. Avec un meilleur second album et son simple Marie Boucane pour l'étiquette Pax, Eric jouait le tout pour le tout afin de prouver qu'il n'était pas si sage qu'on le prétendait. Je ne peux confirmer que ce titre fut utilisée pour une des scènes plus frivoles du film (je ne l'ai pas vu dans son entiereté), toutefois son propos est on ne peut plus clair. Cette ode à peine subtile à la mari utilisent plusieurs allusions et consonnances pour vanter les mérites du tabac d'orchestre. Ou était-ce à propos de sa nouvelle flamme? Tongue in cheek, diraient nos cousins du sud. Inhallez...

Je suis si bien quand Mari(e) s'en vient.
Quand Mari(e) est là, ça sent bon.

Mari(e), le souffle de vie que je sens en moi.

Une douce harmonie, un nuage de joie...



Jerry De Villiers

... et expirez. Habillant la cinématographie, Jerry De Villiers apporte une touche de modernité à l'ensemble en proposant deux instrumentaux captivants. Sa reprise orchestrée du succès planétaire de Marc Hamilton, Comme j'ai toujours envie d'aimer, acquiert un charme cabotin au son et effets électroniques du Moog. Ludique. L'ambiance se modifie et le rythme ralenti sur la reprise instrumentale du thème de Finalement, plus mélancolique et langoureuse que sa version chantée. Alors que la mélodie progresse, le compositeur complexifie son arrangement, accentuant même les cordes d'un effet de phasing. On aurait souhaité plus de mesures comme ces dernières... mais l'arrangeur est demeuré prudent sur cette bande originale.




Certains de ces hymnes pop orchestraux ont tous les ingrédients pour se loger au creux de l'oreille de l'audiophile averti. Les rocks se chargeront d'animer le reste de vos sens. Ils ont partiellement inspiré notre prochaine balladodiffusion, 1000 Soleils au dessus de nous, cette fois-ci entièrement dédiée à une niche bien précise du spectre musical, le soft-psych (ou psychédélisme léger). À suivre...

Finalement, affiche originale (Éléphant)

Entre temps, bonne écoute! Si vous avez vu le film Finalement... et souhaitiez partager des extraits ou votre critique personnelle,
écrivez-nous.


Téléchargez la Bande Originale / Download the original soundtrack:

Artistes Variés - Bande Originale du film Finalement (1971; Spectrum SP107)


15 commentaires:

Vente de garage a dit...

Wow! J'avais jamais entendu parler de cette trame sonore! Vraiment cool!
Plein de belles découvertes là-dessus!
Merci S.ébastien!

Sébastien Desrosiers a dit...

Merci Félix. Et dire que tout, TOUT Pagliaro demeure toujorus à être réédité!!! Incroyable... ; (

En effet, Denis Pantis avait une prédilection pour les compilations, qu'il produisait à la dizaine déjà à la fin des années 60.

Simon a dit...

Article fleuve s'il en est un !

On se tanne jamais d'écouter "J'ai marché...".

Merci de m'avoir fait découvrir l'existence du film "L'île".

Wow les cuivres et cordes sur la toune de Huard.

J'aimerais bien entendre la pièce de Lucie/Chantal Renaud, je crois que le lien de Ex-orbité est inactif...

Ces pièces inédites m'intrigue.

Ravel a dit...

Intéressant! J'ai un faible pour Renée Martel, chanteuse parfois négligée et reléguée aux mêmes 2 ou 3 succès ...
Elle a aussi fait une couple de 45 tours avec Pag, que j'ai trouvé dans un heureux bazar (ou un bazar qui rendit heureux...).
Merci S.

Sébastien Desrosiers a dit...

Merci Simon! Fleuve...donc c'est fluide? ; )

Huard: étonnant, non?

La pièce pour le personnage de Chantal Renaud est le rock "Arrête Lucie" de Pag. Tout de Pag reste à être réédité. Tout! On a beau l'encenser comme notre rockeur fétiche, le catalogue de l'artiste est bloqué depuis des lustres par des imbroglios admistratifs ou légaux.

Sébastien Desrosiers a dit...

Merci Ravel.

Pag et Martel ont fait un album en duo; la pochette démontre à quel point ce fut réalisé rapidement. Voisi sur le site de Pag.

Moi aussi, je l'aime bien, la Renée. Le thème du film me hante depuis qqs semaines... Sacrée production!

Ravel a dit...

En fait de pochette moche, c'en est tout une. C'est laid même en tout petit...

Les moyens étaient souvent bien limités au Québec pour le design de pochettes et ça se voit. Select, Apex... Faut voir la photo de Lisi, sur l'album Versatile. Elle semble en bien mauvaise santé... Pas la voix, par contre!

Ceci dit, bon travail, Mr S.

Martin a dit...

Pour les imbroglios admistratifs ou légaux reliés au catalogue de Pag,il a tout de meme réussi a piger dans son répertoire pour l'album compilation double Hit Parade.Donc...
Il est possible qu'une partie du répertoire en question n'était pas accessible,mais il se peut que Pagliaro ne soit tout simplement pas intéressé a resortir tout ca.
Apparemment,il serait aussi en mauvais termes avec Pantis suite a la parution d'une compilation qu'il aurait sortie alors que Pagliaro était en France dans les annees 80.Donc,pour les albums dont Pantis possede les droits...

Martin a dit...

En passant,Arrete Lucie a un certain air de famille avec Trouver Annie,de l'album Spectrum de Pagliaro...

Sébastien Desrosiers a dit...

C'est minimal comme design, en effet. En comparaison, les pochettes GAP avait un look plus défini et original.

J'adore tout de même les pochettes de Select, surtout celle avec de larges photos (pré-1967). Elles sont aussi texturées, un détail insignifiant qui comble malgré tout ce complétiste... ; p

Sébastien Desrosiers a dit...

... et avant que tu me le sougline: oui, j'ai corrigé toutes ces fautes d'orthographe qui apparaissait dans mon article hier. C'est ce qui arrive quand on termine sa rédaction aux petites heures du matin... ehehehe

Sébastien Desrosiers a dit...

Martin: C'est vrai, faudrait pas oublier cette compilation Audiogram, mais je me demande si c'est toujours disponible. Ça a tout de même été publié sur CD... il y a 15 ans! Ouch!

Je crois en effet qu'il y a un certain froid... avec Mérite et son passé pré-rockeur.

Sébastien Desrosiers a dit...

Martin:

Ohhhh my! Pourquoi n'avais-je pas fait le rapprochement? J'aurais du réécouter mes albums de Pag! Tu as effectivement raison: "Arrête Lucie" n'est qu'une adaptation de "Arrête Annie" publiée sur son album de 1970 (SP-103). Quand on parle de cinéma d'exploitation, en voici un exemple flagrant! ; )

Merci Martin. Je corrige l'article en conséquences.

Gaétan a dit...

un excellent article qui fait le tour de la question. bonne recherche, encore une fois. très bonne trame sonore, j'ai un faible pour les chansons de Bruce mais le reste est intéressant.
merci S.ébastien

Sébastien Desrosiers a dit...

aha.. et merci de m'y avoir initié, Gaétan!