samedi, octobre 09, 2010











Sam Lloyd - Sam Lloyd (1972; Chart On CHA 2001)

Ce n'est pas la première fois que nous mentionnons l'étiquette montréalaise sous-estimée Chart On. Similaire dans son approche partiellement anglophile à
Crescent Street (Lori Zimmerman, Blind Ravage, Mill Supply) ou R&B, elle n'aura été en opération que peu de temps entre 1971 et 1972, ne publiant qu'une quinzaine de simples oscillant entre une pop-rock incisive (Éloïse, Jean Lévesque) du tournant des années 60 et d'autres numéros décidément plus fantaisistes (Minimum, Réal V. Benoit, Maxime), voir lounge (Dave Thomson). Du lot, le chanteur folk anglophile montréalais Samuel Lloyd en aura été le prospect le plus sérieux, le seul qui se verrait gracié d'une sortie sur long jeu. Mais ce n'était que le début...

La presque entièreté des simples Chart On fut enregistrée sous la tutelle du producteur-maison Normand Bouchard. Avant de passer derrière la console, Bouchard s'était fait les dents dans le milieu en tant que bassiste de la formation garage Les Shadols qui se rebaptiserait plus tard Les Monstres. Les deux groupes avaient la particularité de graviter autour du charismatique chanteur Marc Hamilton. À la dissolution des Monstres, Hamilton rejoignit Les Caïds le temps d'un 45 tours avant de rapidement entreprendre une carrière solo entre la France et le Québec. En 1969, au moment de réaliser son premier album, il confierait la direction artistique de cet opus définitif à Bouchard. On connait la suite: le simple issu du même album, Comme j'ai toujours envie d'aimer, est devenu l'un de nos premiers hits planétaire d'envergure, dépassant rapidement les 2 millions de copies et catapultant bien malgré lui Hamilton à l'avant-scène de la pop francophone. Il surferait la vague, mais tomberait de haut plus tard, accusant sa propre dégringolade au retentissement sans borne de son tube qui obscurcissait ses productions ultérieures. La gloire à son prix et le chanteur l'a tragiquement traduit par le titre de son autobiographie, La chanson qui m'a tué. Toujours est-il que ce succès instantanné pourrait bien parallèlement avoir joué un rôle positif dans la carrière de son jeune producteur...On le retrouverait d'ailleurs à la même époque derrière la console pour une autre figure marquante du folk psychédélique, le chanteur abitibien Mathieu, produisant son premier et sous-estimé album éponyme ( relisez l'article de 2008 ici ).



Un ex-Monstre aux airs de Beatles (Photo-Vedettes, mai 1971)
Lloyd connaissait déjà Bouchard et Hamilton puisqu'il avait été guitariste pour Les Monstres entre 1965 et 1967. Sa présence était psosiblement fluctuente puisque son nom semble aujourd'hui absent de la plupart des biographies du groupe. Les musiciens étant tous costumés, il faut en déduire que la substitution occasionnelle d'un membre pouvait aisément passer inaperçu...













Aussitôt créée en 1971, l'étiquette Chart On se distinguerait en moussant la carrière de Lloyd à l'aide d'un outil promotionnel jusque-là inédit au Québec ou même sur le reste du globe: le simple en format 12" S'il est vrai que le 78 tours mériterait d'être cité comme précurseur à ce type de mise en marché, le simple 12" se distinguait ne serait-ce que par son poids, sa vitesse de rotation et ses avantages techniques. Les passionnés de funk et de disco connaissent bien ce format où un simple est pressé sur un large disque vinyl de la taille d'un long-jeu, facilitant les mix en discothèques et améliorant du même coup la qualité des basses fréquences par l'utilisation de sillons plus larges. Le format deviendrait rapidement un standard auprès de tous les mouvements dancefloor ou électroniques et est toujours le principal format utilisés par les DJs. Les historiens du disco ont longtemps débattu sur l'origine exact du format, mais la plupart s'entend aujourd'hui pour dater sa popularité naissante entre 1973 et 1975. Chart On était pourtant loin d'envisager la publication d'un titre de Lloyd pour animer les discothèques. On devine rapidement que l'étiquette misait presque essentiellement sur l'impact visuel que créerait un simple de cette dimension auprès des DJs de la métropole. Le diminutif DJ apparait ainsi au matricule du simple. Celui-là ne devrait pas passer inaperçu , devaient-ils penser... La pochette parodiant déjà le fait par son illustration, l'étiquette pouvait bien alors le proclamer comme «The biggest 45 from Quebec in ten years» !





Piano Piano démarre avec toute une hargne beatlesque digne de 1968: la mélodie pop rock corrosive martellée à la guitare folk, fouettée par le fuzz et soutenue par une double piste vocale confirme la justesse dans le choix des simples du chanteur. Si le simple 12" ne comportait qu'une face, la chanson eut aussi un pressage sur 45 tours avec la bucolique ballade country-folk Free to be free. Son approche sans flafla prépare l'auditeur au véritable son du chanteur sur son long jeu qui, bien qu'encore plus épuré que cette face B, témoigne d'une production minimale reposant principalement sur la guitare et le timbre des harmonies envoutantes de Lloyd. À en croire la pochette du long jeu -fait impressionnant- l'auteur-compositeur jouerait aussi de tous les instruments.


Sam Lloyd, tout comme Roger Rodier, fut l'un des rares chanteurs principalement anglophones à tâter simultannément le marché francophone en publiant un titre original (Wah Wah ) et une adaptation de sa précédente face B (La liberté ). La production de cette dernière diffère légèrement de la version anglophone, plus aérienne et avec une introduction paufinée. Le phrasé est sans reproche et on pourrait facilement imaginer Pagliaro ou François Guy chanter un hymne similaire à la même époque.

Faire ce que je pense en moi me semble idiot.
Quoique souvent, la liberté en devient un jeu de mot,
Et j'oublie ce qu'il me faut.









Wah Wah poursuit l'amplification du registre de Lloyd et ne devrait pas être confondu avec le titre du même nom par George Harrison. Le chanteur y adopte plutôt une personnalité glamrock qui exaspère son entourage par sa surutilisation du wah-wah. Le tout n'est pas sans rappeler le son du 25e Régiment (période Ecology ) ou plus tard de la Bande à Benny. Curieusement, Lloyd choisit plutôt de pimenter sa guitare d'un flange pour résumer ultimement l'effet du wah-wah dans un refrain accrocheur sous forme d'onomatopée. Drôlement efficace!





On pourrait spéculer que les économies réalisées au niveau de la production du long-jeu (concentrée exclusivement sur la versatilité de Lloyd) incitèrent Chart On a tenter l'aventure des simples 12" et à se payer le luxe de publier l'album sous trois pochettes différentes. En effet, la plus «commune» dépeint Lloyd en gros plan sur fond bleuté tandis qu'une seconde utilise une photo sépia différente montrant le chanteur encadré au centre de la pochette, fumant une cigarette; la troisième version est une variation sur la seconde avec un encadrement de couleur différente (blanc). C'est indéniable, Bouchard misait énormément sur son protégé...


Beaucoup de bruit donc pour un artiste au registre si... intimiste. Préférons d'abord cet épithète à celui de downer folk qui lui a parfois été collé. Car s'il est vrai qu'à la première rotation on peut s'imaginer un auteur-compositeur replié sur lui-même et son instrument, des écoutes répétées permettront d'apprécier la prose candide et plutôt utopique d'un musicien somme toute épanoui. Lloyd n'est ni Skip Spence ni Al Stewart ou Chris Bell, mais il interpellera les oreilles déjà friandes de loner folk. On dénotera aussi l'influence de Crosby, Stills & Nash ou du Lennon du début de la décennie 70, particulièrement dans l'approche sommairement plaintive du chanteur, les thèmes qu'il aborde et sa prédisposition envers les doubles pistes vocales.





De simplissimes mélodies portées par une interprétation franche, par moments à fleur de peau, font que l'ensemble des compositions demande une écoute reposée, non pas studieuse, mais quasi méditative. À la manière des albums des Québécois Roger Rodier ou même Moonstone, la trame musicale s'impose en toute humilité, sans percussion, meublant l'espace de ses influences folk, blues et country. Après la liberté clamée par Free to be free, Lloyd poursuit sur cette lancée en chantant l'abandon (Let him go ), l'amour sublimé (Realize ), la révolte (
la sombre Strike out every name ), la foi (la dramatique Do you agree with me; God bless ), l'innocence de l'enfance (l'éthérée Until nine ) ou l'oisiveté (Nevermind my job ou la charmante Blues in your room ) dans ses moments les plus introspectifs. Autant au niveau des paroles que de la production, l'auditeur demeure dans une proximité certaine de l'oeuvre de Lloyd; si certains souligneront que l'ensemble manque parfois de profondeur, on ne pourra nier la candeur du chanteur qui pèse néanmoins chaque mot. Toujours, la voix nassillarde et à l'occasion rauque de Lloyd ponctuée de quelques notes électrifiées ajoutent ce qu'il faut de mordant à l'album. I'm not guilty, à la toute fin de l'album, marche d'ailleurs dans les sillons bluesés de Nevermind my job en plus caustique. L'amour libre, inévitablement, a aussi de ses travers...

Why do try to kill me [...]

Jealousy.

First within my brain

Finally

Jealousy, jealousy.

Stop tracking me.
I'm not your thing
No, no, I'm not.



À la même époque, Lloyd fait de nouveau preuve de bilinguisme et enregistre un simple en anglais et en français pour le temps des Fêtes. Pressé sur la nébuleuse étiquette Hippopotamus, la chanson bénificie de la coproduction de H. Liesker et de Louis Parizeau (Les Sinners, La Révolution Française) ainsi que de l'apport de Daniel Valois (flûtiste pour Les Sinners dès 1972) aux arrangements vocaux. On est entre bonnes mains...



Le chanteur y propose une chanson originale - un fait plutôt rare!- doublement adaptée qui ne s'éloigne pas trop du registre exploré sur ses précédents simples. Curieusement, la version francophone avait été rebaptisée Joyeux Noël à tous pour être ultimement compilée par les disques Mérite pour son album Party de Noël. Toujours vautré dans cette ambiance post-Beatles, Lloyd fusionne son message de paix universelle aux rapprochement qu'incite le réveillon, interpellant même plusieurs nationalités en conclusion. Remarquez qu'aucune cloche ni grelot n'est entendu tout au long de la chanson: ça fait changement! Lorsque je choisissais plus tôt dans cet article de qualifier Lloyd de chanteur anglophile, c'est partiellement dû à ce simple pour Hippopotamus qui laisse entreveoir un accent particulièrement prononcé sur la face B, Christmas carol. Malgré des paroles assez similaires, le chanteur semble effectivement mieux se débrouiller avec la version francophone, tant au chant que dans l'écriture qui elle, demeure sommaire. Pourrait-on en déduire que Lloyd était francophone et utilisait possiblement un pseudonyme anglais pour mieux seiller ses chansons? Je ne saurais dire... Ce qui importe ultimement, c'est le message de paix qui se dégage de ces deux faces.

Plusieurs prospects de Chart On posent pour La Chemiserie. Serait-ce Paul Delaney sous le pseudonyme de Maxime? (Photo Vedettes, juillet 1971).


Témoignant de son ecclectisme, l'étiquette Chart On proposa au chanteur Maxime d'adapter Piano Piano pour son ultime simple, Moineau Moineau (CHA 2000 009). On doute du lien qui unierait ce chanteur avec un autre du même nom, réputé pour son R&B déchaîné, notamment sur une reprise de Mustang Sally sur étiquette Carrousel; le débat est ouvert... Ce qui étonnera à la première écoute, c'est plutôt le travestissement du thème original en faveur d'une minable farce grivoise. La production diffère à nouveau légèrement de l'original chanté par Lloyd; elle délaisse le fuzz pesant au profit de choeurs planants et propose maintenant un chant de barython qui sonne délibérément déphasé. La chanson illustre ainsi de façon navrante l'histoire d'une fille obèse nommée Moineau qui souhaite quitter le nid familial pour se marier.
  

Elle venait de je-ne-sais-d'où la fille de ma chanson.

Gros Jambon, c'est ainsi qu'on l'appelait.

Elle souffrait d'obésité, mais rêvait de s'envoler, de s'envoler.

Elle risquait de s'écraser.



Lorsqu'on choisit de lancer son étiquette avec un titre comme Coco va au Bingo par Minimum, il faut croire que c'est le genre d'incident cocasse qu'on ne peut éviter... Nous reviendrons d'ailleurs prochainement sur d'autres productions d'intérêt de l'étiquette Chart On dans la seconde partie de cet article, alors que nous explorerons les enregistrements de Jean Lévesque et Éloïse, notamment. Entre temps, je vous laisse avec cette anthologie complète des enregistrements de Sam Lloyd! Je profite de cette occasion pour lui lancer un appel et à tous ceux qui ont cottoyé les artistes signés sur Chart On à l'époque (cités plus bas). Votre témoignage nous importe; aidez-nous à combler les trous de notre mémoire collective en nous écrivant. Bonne écoute!

Merci à Jean Lévesque (Jean & Steve), Marc Lambert et Félix Desfossés du blog Vente de Garage pour leur généreuses contributions.


Catalogue Chart On

Album:

CHA 2001 Sam Lloyd - Sam Lloyd


Simples:
2000 001 Minimum - Bingo-Bingo / Bingo-Bingo
2000 002 Minimum - Bingo-Bingo / Coco va au bingo
2000 003
Sam Lloyd - Piano Piano / Free to be free
2000 003DJ Sam Lloyd - Piano Piano (12")
2000 004
Rosita Salvador - Toi mon amour / Si c'est vrai que l'amour
2000 005 Cloudy Sky - Someday the sun / The Hum Song
2000 006
Éloïse - L'Amour avec toi / Bye Bye
2000 007
Germain Lacasse - Je t'aime tout simplement / Chicago
2000 008 Sam Lloyd - Wah-Wah / La liberté
2000 008DJ Sam Lloyd - Wah-Wah (12")
2000 009 Maxime - Moineau Moineau / Stan-Beurre Blues

2000 010 Jean Lévesque - Comme un brave homme / Melinda

2000 011
Dave Thomson - Le coeur d'une femme / Love is unknown
2000 012 Éloïse - Je suis pour / Ne joue pas
2000 013
David Smith - See me / Instrumental
2000 014 Réal V. Benoît - Dans l'fond d'nous autres / Les baveux

2000 015 Pierre Couture & Richard Dupuis - Les vagues de la mer / Instrumental



Téléchargez l'album et les simples de Sam Lloyd / Download the complete album and singles recordings:Sam Lloyd - Anthologie des enregistrements Chart On (1972)

9 commentaires:

Vente de garage a dit...

De bien belles découvertes là-dedans! Et très complet comme article, uen agréable lecture et écoute ce maitn, merci Sébastien!

By the way, le lien des Monstres vers Vente de garage mène à une émission d'il y a 3 ans plutôt que vers l'article sur Les Monstres?

Merci encore!

Félix

Simon a dit...

Super article encore une fois Séb.

Chart On, Hippopotamus. Que d'étiquette étrange. J'ai seulement le 12" de Wah Wah.

Belle découverte pour Maxime.Il sonne un peu comme Joe Dassin.
Personnellement je ne déteste pas cette version française de Piano. En l'écoutant d'un oreille distraite on remarque seulement le rythme et je trouve que ça passe.

StéphaneB. a dit...

Que du bon encore une fois.
La première fois que j'ai entendu Sam Lloyd ,c'était sur une cassette compilation du temps de fêtes des disques mérite,j'étais sur que c'était François Guy qui chantait sur un pseudonyme.
D'autre-part en anglais l'influence Lennon est beaucoup plus forte que celle de François Guy.

Sébastien Desrosiers a dit...

Merci Messieurs!

C'est vrai que Maxime a ce ton de barython feutré à la Dassin! Si ce n'était pas de ces paroles écrites sur un coin de table... ehe

Félix: T'as raison! Je corrige le lien.

En passant, si vous savez quels sont les deux simples Chart On manquants à la liste dans l'article, écrivez-moi et je les ajouterai.

Anonyme a dit...

Voila la pochette alternatif Sam Lloyd, probablement faite avant le bleu en des nombres miniscules:

http://img600.imageshack.us/img600/3250/samlloyd.jpg

un peu plus beau que l'autre, n'est pas?

n.

Sébastien Desrosiers a dit...

Oui! Voilà! Merci, qui que vous soyez! Je l'ajouterai à l'article.

Il ne doit pas en exsiter beaucoup de ces pochettes!

Robert Thérien a dit...

Sur la liste de Chart On:
001- Minimum: Bingo Bingo/ Bingo Bingo
002-Minimum: Bingo Bingo/ Coco va au Bingo

013: David Smith: See Me/ Inst

Recherches très intéressantes. Bravo!

Robert Thérien a dit...

Autres information sur les artistes Chart On:

Éloïse s'appelle Louise Lessard et est née en 1953

Cloudy Sky est le pseudonyme de Claude Fortier.

Sébastien Desrosiers a dit...

Merci pour ces précisions M. Thérien. À en apprendre ainsi sur les collègues Chart-On de Lloyd, on en viendra peut-être un jour à le retracer!